et leçons et coutures de Jean-Pascal Dubost

et leçons et coutures de Jean-Pascal Dubost vient de paraître aux éditions Isabelle Sauvage.


Heureusement loin de toute table rase (ou, du moins, de la mémoire courte de certains contemporains, poissons rouges àrayures dadaïstes ou pas), Jean-Pascal Dubost confirme àsa manière le fait qu’écrire exige de lire un tant soit peu ses pairs, Villon étant alors aussi actuel que Prigent. D’ailleurs, ici, une telle ouverture est évidente rien qu’au lexique [1] qui brasse les époques et les registres au long d’une « lectobiographie  » d’où l’on pourra tirer autant de « leçons  » que de « coutures  », les deux substantifs pouvant être bousigués [2] en « lectures  ».
Ce qui donne au bout du compte un « livre de dettes  », autrement dit de « plagiats avoués  », d’hommages plus ou moins facétieux, dont 98 sont rendus àdes écrivains et 1 au « cycle du Lancelot-Graal  », l’ensemble étant traduit dans la « langue Dubost  » issue de la rumeur de ces voix multiples, « langue tout àla fois populaire, vulgaire, verte, littéraire et documentée  » – et créant au final un alliage tonique et singulier.
Comme cela a déjàété le cas dans de précédents ouvrages du même auteur, chaque poème a la forme d’un bloc de prose constitué d’une seule phrase, souvent très longue, qui roule des mécaniques de sa syntaxe emberlificotée [3] jusqu’às’achever sur un tiret, histoire de reprendre son souffle avant la prochaine. Des notes l’accompagnent fréquemment pour expliquer àjuste titre au lecteur du XXIe siècle le sens et l’étymologie des nombreux mots dont l’usage a disparu depuis belle lurette. D’un texte àl’autre, on distingue vite des reprises où dominent les considérations sur l’écriture en train de se faire, le vivant aussi protéiforme que précaire (ces deux pôles étant évidemment plus que liés ainsi que le suggère le verbe forgé par l’écrivain espagnol Julián Ríos, cité ici : escrivivir) et l’évocation d’un lieu central àtous points de vue, la forêt de Brocéliande. Poèmes proliférants par leur polyrythmie et leurs inventions – néologismes, archaïsmes, jeux sonores et télescopages divers :

Paul Verlaine Au moyen de toute la dys-
harmonie mélancolique dont vous m’êtes
capables et sans éloquence et sans raison ni
rime et àgambades et gamahuchages et pour
ne pourrir pas vivant sous un régime de
bananes démocréditement despote anéantis-
sant àtaux d’intérêt zéro, mais avec cœur et
verve et sève et pour ce que la mort ne se laisse
pas attendre
, vivez malheureux, c’est le meilleur
conseil qu’on puisse vous donner –


ou bien :

Gertrud Stein C’est pourquoi il faut tout
dégrammatiser –


Après cette suite de poèmes, des « phrases lares  » éclairent sous d’autres angles l’entreprise tératotextologique [4] du « complexe Dubost  », de Joachim du Bellay àJude Stéfan, affirmant des principes qui pourraient se résumer, il me semble, par cette saine injonction : faire feu de tout bois – c’est-à-dire, àtravers l’expérience de l’écriture, privilégier le travail qui n’hésite pas àraturer dans le vif de la langue, y jeter comme combustible l’hétérogénéité profuse qui correspond indéniablement àl’état de ce monde et en produire, notamment grâce àdes articulations qui assurent autant la circulation du sens que celle du rythme, une énergie suffisante, cette opération permettant au passage d’échapper au mythe de l’auteur drapé dans son splendide isolement.
Enfin, on ne peut également qu’approuver la leçon de l’ultime texte, un poème entier « emprunté  » àJames Sacré, qui rappelle la suprématie de ce qui a eu lieu (le livre) sur les intentions fixées initialement, l’essentiel étant, en effet, « que ça t’emporte lecteur  ».



11 avril 2012
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[1Critère essentiel en matière de poésie, genre encore trop souvent hanté par la recherche d’une prétendue pureté – ou par son contre-pied systématique, ce qui revient en fait àla même position ségrégative.

[2Une bousigue est, paraît-il, une couture grossière.

[3N’accordez aucune valeur péjorative àcet adjectif puisque J.-P. Dubost l’emploie lui-même àson égard, allant même jusqu’àattribuer àson écriture, entre autres qualificatifs, celui de « ragoà»t macaronique  », tout en précisant que « le macaronique littéraire est une fantaisie de savant  » (Ugo Enrico Paoli).

[4En 2005, J.-P. Dubost a publié Monstres morts aux éditions Obsidiane.