Le Crieur de Saint-Herblain

Récit de Claude Andrzejewski.


Sillonnant la ville àpied, en voiture ou en triporteur, s’arrêtant chaque jour àheures régulières en différents lieux stratégiques (àla gare, au marché, dans la rue, près d’un bar ou en bas d’un immeuble), Claude Andrzejewski a été, au sein d’une compagnie spécialisée dans le théâtre d’interventions urbaines, crieur àSaint-Herblain de mars àjuin 2006. Des boîtes aux lettres, disposées dans la ville, permettaient aux gens qui le désiraient de déposer des messages qui étaient ensuite récupérés puis criés publiquement en même temps que d’autres nouvelles, ponctuelles et locales, auxquelles s’ajoutaient une partie écrite par le comédien et diverses infos aléatoires allant des pronostics du tiercé àl’horoscope pour finir par la Phrase du jour.

Claude Andrzejewski a tenu le journal de cette expérience où il a dà» affronter des situations parfois délicates. Il ne devait pas seulement faire face aux intempéries et ménager sa voix qui se fragilisait mais également tenter d’éviter les projectiles (des Å“ufs, des yaourts et des oignons) lancés par des « Â snipers  » camouflés dans les étages, ou remettre àleur place les vigiles du centre commercial et répliquer sans perdre la face àceux qui l’interpellaient sèchement.

« Â Ce doit être exactement ça, le boulot : accepter que la vie submerge le théâtre, et que l’on s’y perde, et que l’on s’y trouve, d’instant en instant, en courant les rues.  »

Entre coups de blues et regain d’énergie, il retrace son épopée avec humour et sagesse, expliquant ce qu’il doit àceux qui, sur place, lui ont permis de donner du sens àson séjour en l’accueillant chaleureusement et en l’invitant àpartager quelques unes de leurs soirées au bistrot ou en famille. Il dit aussi, et plus tristement, ses doutes, ses colères et la peur qui, lors de certaines criées, ne le lâchait pas. L’intervention en milieu urbain, en faisant en sorte que certains endroits de la ville, souvent les plus "sensibles", se transforment àl’occasion en scènes de théâtre, n’est pas du goà»t de tous. Le comédien l’a plusieurs fois appris àses dépends, se trouvant, bien malgré lui, confronter (en plus des velléités des habituels détracteurs) àdes événements imprévus, parfois bienvenus (les grèves contre le CPE) ou dramatiques (le 28 avril, Mustapha, vice-président du centre socioculturel s’est jeté du 16ième étage) auxquels il devait s’adapter le plus rapidement possible.

« Â Il nous faut pour ça une dose de folie altruiste, une espèce d’héroïsme vain, désespéré, l’âme chevillée au corps. Et pour le coup, il y a aujourd’hui du jeu en moi, comme entre le battant d’une porte et son chambranle de guingois. “Nous faisons déjàpartie des morts†, me rétorque mon metteur en scène, citant le dramaturge Kantor.  »

Le témoignage de Claude Andrzejewski est spontané et plein d’humanité. Il est conscient du côté éphémère de ce rôle de crieur dans lequel il s’est totalement investi. Le suivre, quelques années plus tard, nous permet, de plus, de retrouver, après huit ans de silence, l’auteur du recueil de nouvelles Du vin, du vent (La Dragonne, 2004) où, entre flâneries, verve, malice et nonchalance, on percevait déjà, tout comme ici, le sens du contact, le don de soi, le besoin de tisser des liens et la volonté de rompre les solitudes qui restent, indéfectiblement, ancrés en lui.


Claude Andrzejewski : Le Crieur de Saint-Herblain, éditions La Dragonne.

8 mai 2012
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