Ici ça va

Roman de Thomas Vinau.


On entre dans le roman de Thomas Vinau en poussant une porte qui grince et s’ouvre sur l’intérieur silencieux d’une maison inhabitée depuis plusieurs années. L’endroit est assez sain et agréable pour qu’un jeune couple décide de s’y installer. À eux de rénover la demeure et la cabane attenante, d’y trouver leurs marques et de s’y poser. La démarche s’avère un peu plus délicate, et en même temps, on le comprend très vite, nécessaire, vitale, pour le narrateur qui ne retrouve pas ici un lieu d’habitation ordinaire. C’est dans ces murs, et surtout au dehors, dans les herbes folles, au milieu des vignes, à proximité de la rivière, qu’il a passé son enfance et engrangé des souvenirs heureux jusque ce que la mort brutale de son père ne vienne rompre l’équilibre, donnant libre cours à l’angoisse et à ses crises répétées.

« Il aimait la pêche. Le foot. Il aimait réparer les transistors. C’est ce que ma mère m’a raconté au téléphone quand je l’ai appelé après mes crises. J’avais besoin d’en savoir plus. D’en savoir un peu. De pouvoir l’imaginer. C’est la moindre des choses que de pouvoir imaginer son père. À défaut de le connaître. »

C’est en se réappropriant la part la plus sensible de son histoire qu’il crée, avec patience et lenteur, un présent où l’on perçoit, à chaque instant, une harmonie entre lui et celle qui partage ce quotidien où le travail physique permet au corps d’éprouver, chaque soir, une fatigue salvatrice. Cela n’empêche pas la peur de rôder.

« Je me méfie. J’ai toujours peur que ça ne dure pas. Dès qu’il y a un moment de bonheur, de paix, je me répète que ça ne durera pas. Que le temps est un menteur. Qu’avoir quelque chose c’est commencer à le perdre. C’est comme cela que je fonctionne. C’est ce que la vie m’a appris. »

Ce fatalisme latent n’entrave pas sa volonté de vivre chaque instant avec intensité. C’est sa façon de maintenir la fragilité à distance. C’est aussi ce qui l’incite à confirmer ce que dit le titre du livre : Ici ça va. Ce qui peut laisser penser qu’ailleurs ça n’allait probablement pas. D’où ce besoin de reprendre en main son existence à l’endroit même où elle s’est un jour partiellement arrêtée.

Thomas Vinau mène son roman en multipliant les chapitres très courts. Son écriture est simple et efficace. Il lui faut peu de phrases pour brosser un décor, un pan de paysage, un parcours dans les vignes, une fin de journée paisible, un feu de broussailles... Pas de détails superflus, très peu d’adjectifs. Un tempo vif et une respiration soutenue et maîtrisée, à l’image de celle qu’adoptent les deux personnages que l’on suit, reconstruisant patiemment quelque chose qui s’affirme, au fil des mois, bien plus fort que les murs de leur maison.

« Et puis il y a la lumière. Omniprésente. On dirait parfois qu’elle monte de la terre. Avec le bruit de la rivière. Qui lui sert d’escalier. »

Ici ça va est le deuxième roman de Thomas Vinau. Le premier, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, publié l’an dernier chez le même éditeur (Alma) sort ce mois-ci en 10/18.


Thomas Vinau : Ici ça va, Alma éditeur.

Deux recueils de poèmes de Thomas Vinau ont également vu le jour ces derniers mois. L’un, Les derniers seront les derniers (poèmes instantanés nés d’un regard, d’une intuition, d’un éclat de voix, d’une saute d’humeur, d’une sensation furtive de bien-être ou de mal-être vite réprimée, etc) chez Le Pédalo ivre et l’autre, Chaque matin (une suite de proses brèves en lien constant avec le titre), dans la remarquable collection Ficelle animée par Vincent Rougier.

18 août 2012
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