Ceux qui m’accompagnent

On n’écrit pas sans les autres auteurs. Ceux qui ont écrit avant nous. Ceux qui ont laissé une trace dans la longue et sans cesse renouvelée histoire des mots et de la langue.
J’écris parce que je ne peux pas vivre sans écrire, j’écris et ce faisant je m’inscris dans une histoire, j’écris dans la prolongation du regard de ceux qui ont écrit avant moi et m’éclairent, m’ouvrent un chemin. Un chemin d’écriture, un chemin de vie.
C’est pour cette raison que, chaque vendredi, j’apporte au GEM un texte d’un écrivain : j’aime l’idée que les personnes qui sont là, qui m’ont fait la confiance de venir, de croire en l’écriture, de croire en ce temps partagé d’écriture, de croire au travail de la langue, reçoivent elles aussi ces mots qui, un jour, dans ma vie, m’ont nourrie.

Je leur lis les passages choisis après un bref temps de relaxation, temps au cours duquel nous tentons de trouver le silence en nous, première condition me semble-t-il à l’écriture : faire taire en nous le bruit, celui du monde et celui en soi, afin de permettre la montée de nos propres mots.

Je leur ai lu un passage de Noces de Camus pour la langue limpide et charnelle, la beauté de la Méditerranée écrasée de soleil, la méditation poignante sur le présent et la mort.
Je leur ai lu un passage de La Part manquante de Christian Bobin pour les mots vrais et consolateurs sur l’enfance et la lecture.
Je leur ai lu un passage de La Vie heureuse de Nina Bouraoui pour la langue simple et incandescente, l’émotion, la pulsation de vie qui traverse ces pages.
Je leur ai lu, ou plutôt nous avons lu, à trois, un passage de La Pluie d’été de Marguerite Duras pour la langue de Duras, sa folie et sa drôlerie, sa liberté, pour son bouleversement.
Je leur ai lu le premier chapitre, vertige, d’Ils ne sont pour rien dans mes larmes d’Olivia Rosenthal, pour la langue puissante et poétique, sa violence, son effroi, sa liberté, pour sa manière d’atteindre le bord du vide et, ce faisant, de nous y emmener.
Je leur ai lu le début du Journal du Dehors d’Annie Ernaux pour la langue acérée qui vise à décrire le réel, et, ce faisant, nous restitue le monde, nous donnant des yeux pour voir.
Je leur ai lu un passage de Falaises d’Olivier Adam pour la simplicité de la langue et la quête de sincérité.
Je leur ai lu un passage de W ou le Souvenir d’enfance de Georges Perec pour la force et le bouleversement de l’évocation de l’enfance et de l’origine de l’écriture.
Je leur ai lu le début des Années d’Annie Ernaux pour la puissance du « on », pour les images arrachées à l’oubli, pour le travail sur la mémoire et sur le temps.

Il y aura d’autres textes, d’autres auteurs, d’autres histoires. J’ai hâte de leur lire, encore et encore, ces mots qui les emportent, les dérangent, les font rêver, trembler, pleurer, rire, à eux qui souvent manquent de tout. Parce que la littérature, c’est la vie. C’est la vie dans tout ce qu’elle est, et dans tout ce qu’elle échoue à être.

2 janvier 2013
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