En résidence parmi les objets



À l’origine de ce projet de résidence, une envie : apporter la littérature dans un lieu où on ne s’attend pas àla trouver. Un lieu riche en histoires, pour stimuler ma propre démarche d’écriture ; un lieu riche en humains, pour que la rencontre soit belle. Un lieu où la trace littéraire soit déjàperceptible, bien qu’inattendue…
Lorsque j’étais étudiante en lettres àSaint-Etienne, j’achetais mes livres d’occasion àla boutique Emmaüs de mon quartier. Trône encore dans ma bibliothèque Belle du seigneur, dans une vieille édition de poche, dont la première page est ornée d’un nom gravé au stylo Bic bleu, celui de la personne auquel il avait appartenu avant moi…
Les boutiques Emmaüs, c’est un mélange des genres àtous les niveaux : le public, qui va de l’étudiant des Beaux-Arts aux familles démunies du quartier ; le personnel, composé de bénévoles, de salariés permanents et de personnes en insertion professionnelle ; les objets vendus, qui mêlent toutes les époques, de la commode de grand-mère au gadget du MacDo…
Fabuleux terrain d’expérimentation pour un écrivain.
Lorsque j’ai pris contact avec les responsables d’Emmaüs Défi pour leur proposer un projet de résidence, ils ont été immédiatement enthousiastes, convaincus de l’intérêt pour tous d’une telle démarche : pour leur équipe, pour leur public, pour l’histoire d’Emmaüs qui reste ouverte àtoute proposition pertinente émanant de l’extérieur.

Le bric-à-brac de Riquet, c’est une boutique où les objets ont une âme. Des objets au passé non identifié, atterris làpar un processus de don, sans que l’on sache pourquoi leur propriétaire a choisi de s’en défaire. On y trouve des chaises, des lampes de chevet, des livres, une chemise de nuit, des chaussures, une coupelle en faïence, des tissus dépareillés, des rideaux, un porte-plume, des bougeoirs, une boule àfacettes…
Porteurs d’histoires que l’on ignore, ces objets cherchent un nouvel acquéreur, qui sera séduit autant par l’objet lui-même que par le passé qu’il véhicule. « Parfois, on laisse volontairement la poussière sur un objet que l’on expose. Parce que la poussière fait partie de son histoire  » explique Eve Gasparin, évoquant son travail de mise en scène de ces objets que le hasard des dons lui porte.
C’est aussi la volonté de recréer de vrais lieux de vie avec des objets disparates. « Ce n’est pas parce que ces objets sont d’occasion qu’ils ne peuvent pas être présentés de manière esthétique, poursuit Eve Gasparin. Ce n’est pas non plus parce que les personnes qui vont les acheter ont en général peu de moyens, qu’on ne peut pas leur offrir un bel espace de présentation, un lieu qui met en valeur ce que l’on propose.  »
C’est enfin une démarche d’insertion professionnelle de personnes en situation précaire, auxquelles on offre la possibilité d’un retour àla vie active et sociale. Ces personnes assurent la collecte des objets, leur tri, la réparation et la remise en vente.

Installée àun bureau de la boutique Emmaüs de Riquet, que je devrai peut-être quitter pour qu’il soit vendu, je m’inspirerai de l’histoire des objets qui m’entourent, choisissant parmi eux ceux qui éveillent un souvenir ou suscitent l’imaginaire. Objets symboliques, objets de valeur ou choses dérisoires...
Écrire, récolter, écouter. Dans le lieu même, au milieu des gens qui vendent ou qui achètent, c’est une mise en scène de l’écrivain, qui glane ses histoires dans le passé imaginé, mais aussi dans le présent actif autour de lui.
Puis il s’agira de donner àlire, àentendre et àvoir, pour passer de l’individuel au collectif. Une fois les textes rédigés, ils pourront être accolés aux objets dont ils retracent l’histoire, courtes évocations au hasard des choix qui auront été faits.
En achetant un objet, les passants emporteront ainsi avec eux un feuillet de mots...

27 février 2013
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