En mémoire de Rüdiger Fischer





Rüdiger Fischer est mort d’une longue et épuisante maladie le 4 juin dernier, à soixante-dix ans. Il était né à Trèves (Trier) en Allemagne, où il avait fréquenté le collège français de cette ville. Il a mené toute sa vie professionnelle au lycée de Bad Közting, en forêt bavaroise, il y a enseigné le français, l’anglais et l’italien. Il a traduit des poèmes de ces trois langues mais aussi du grec, de l’hébreu, du tchèque ; il pratiquait plus d’une quinzaine de langues.

Rüdiger a de tout temps été un militant. Pacifiste, sa connaissance du russe l’amena à s’engager dans la lutte contre l’installation de fusées à ogives nucléaires, dites Pershing, en Allemagne, au début des années 1980 – militants des deux Allemagnes et russes firent cause commune. Sur le plan professionnel, il était inventif dans ses classes et très actif dans les recherches et mouvements pédagogiques. Son œuvre de traducteur et d’éditeur est du même ordre : libre, sans souci des réputations, sensible aux voix, à l’urgence.
Rüdiger était certainement un des plus grands lecteurs et connaisseurs de la poésie de langue française contemporaine. On estime à près de six mille le nombre des volumes de sa bibliothèque. La dernière fois que nous nous sommes écrit, il cherchait encore une institution qui puisse les garder ensemble et les mettre à la disposition du public. Si ce n’est pas à Munich, ce serait bien, quelque part en France.
Il était abonné à de nombreuses revues ; il repérait les encres fortes ; il lisait les recueils entiers ; s’il voulait publier ne serait-ce que deux poèmes pour une anthologie il traduisait d’abord le recueil complètement. On ne peut que rêver au trésor que constituent ses archives pour la langue allemande, en espérer la sauvegarde et, d’une manière ou d’une autre, le partage.
Depuis 1985 il a traduit plus de cent auteurs.
En 1991 il a créé sa maison d’édition pour avoir la liberté de publier ses traductions sans attendre de décision d’autrui. Il l’a appelée En Forêt / Verlag Im Wald car il habitait en forêt bavaroise dans un hameau de trois ou quatre maisons, en haut d’une clairière en pente douce vers une rivière.
Parmi les auteurs publiés il faut citer Gérard Bayo, Antoine Emaz, Odile Caradec, Gaston Puel, Jean Rousselot, Abdellatif Laâbi, Bluma Finkelstein, Robert Piccamiglio, Lucien Wasselin, Fabienne Swiatly, François de Cornière, Pierre Garnier, Liliane Atlan, Israël Eliraz, Paul Badin, Cid Corman, Ivan Dobnik, Christian Degoutte, Fabio Scotto, etc. Son œuvre la plus personnelle est peut-être son anthologie de poèmes de langue française, La fête de la vie /Das Fest des lebens dont le cinquième volume est paru en 2011.
Fait rare dans l’histoire de la traduction, Rüdiger traduisait dans les deux sens : du français à l’allemand, de l’allemand au français. Il a publié de nombreux poètes de langue allemande dans la revue trimestrielle Décharge, de décembre 2003 à juin 2012.
Le travail de traduction est d’écrivain et chaque traducteur a un style ; celui de Rüdiger est fluide, précis, tout entier dévoué à la transposition dans la langue d’accueil – sa marque personnelle pour ainsi dire invisible. C’est ainsi qu’il était, l’ami que nous avons perdu : d’une attention sans faille, hospitalier.



Le site des éditions En Forêt est fermé. La page de présentation est cependant archivée ici. On y trouvera un entretien de Rüdiger Fischer avec Odile Caradec paru dans le Journal des poètes en août 1998, un article de Lucien Wasselin paru dans la revue Commune en septembre 2000 et un article de Georges Cathalo paru dans le n° 119 de la revue Décharge, septembre 2003.
Écouter Rüdiger Fischer répondre aux questions de Christophe Jubien, sur le site des éditions Traumfabrik, ainsi que le témoignage de Francis Krembel.
Lire également un entretien de janvier 2003 avec Alain Jean-André sur La Luxiotte.
Sur le site de la revue Décharge, deux articles de Claude Vercey : Promenade en forêt ; Nous n’irons plus En Forêt...
Sur le site de la Maison de la poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, l’hommage lu par Jacques Fournier sur le Marché de la Poésie, Place Saint-Sulpice, Paris, le dimanche 9 juin 2013.
L’hommage de Pierre Garnier, en poème spatial sur le site L’herbe qui tremble ; sur le même site, des poèmes de Gérard Bayo, Pierre Dhainaut, Max Alhau, Rome Deguergue, Yves Namur.



10 juin 2013
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