Maë l Guesdon | voici le genre de choses dont nous pourrions témoigner si l’on venait ànous demander ce qu’il s’est passé ici

Cette image, je l’ai prise début janvier 2014. Passant devant ce petit parc, j’ai vu ce banc déserté. Puis, après quelques pas, j’ai fait demi-tour, j’ai attendu quelques instants. Et j’ai pris cette image. Un peu inquiet, un peu terrifié. Et plus tard, un peu amusé me rendant compte que l’image (celle vue, celle prise) était une surface de projection. Ce qui avait vacillé en moi était l’idée de la disparition. Parce que j’ai toujours été très ébranlé et inquiété par les chaussures laissées dans la rue, souvent au bord d’un trottoir, par les vêtements étalés dans l’absence des corps sur d’autres trottoirs ou routes des villes. Mais l’on pourrait sans doute envisager d’autres interprétations, d’autres chemins d’imagination...
J’ai donc soumis la photographie autour de moi àdifférents auteurs avec comme proposition la saisie libre de cette image. Voici donc une variation d’écriture et de lecture.

Sébastien Rongier


Maë l Guesdon | Voici le genre de choses dont nous pourrions teÌ moigner si l’on venait ànous demander ce qu’il s’est passé ici





Nous pensions nous tenir au moment où l’on passe du voyeur au vu, lorsque l’on disparaît aux yeux des choses et qu’il ne reste par exemple qu’une succession de froids. Une série peut-être de successions ou de froids. Nous pensions nous tenir où la succession, même sériée, ne réchauffe plus. Nous nous tenions làsans bouger pour ne pas épuiser nos provisions, passant les journées àdormir tête-bêche, les nuits àplanifier comment trouver ce qui nous manquait. Il nous manquait peu : nous avions quelques séries, suffisamment pour remplir le temps qui nous était donné. Nous avions assez d’espace pour aller jusqu’où les yeux des choses ne pouvaient plus savoir si nous étions encore là, au milieu d’elles. Ou àcôté. Il nous manquait peu : une pluie d’hiver frappe les murs. C’était le genre de choses que nous croyions données.

Du jardin, nous pouvions voir les arbres en bordure des murs que l’on retapait de l’intérieur sans savoir s’ils existaient. C’était un hiver comme les autres, àpeine plus humide peut-être, avec la même organisation que les autres hivers dont nous nous rappelions la constance et la dureté. Nous nous tenions les unes àcôté des autres. C’était ainsi que l’on se connaissait. Nous nous tenions les unes àcôté des autres et nous parlions en même temps de choses différentes. La première de nous qui s’avançait vers la fenêtre était suivie des autres – disons suivie bien que nos mouvements étaient solidaires et qu’il était difficile de savoir si la première suivait les autres ou si les autres suivaient la première.

Nos innombrables se réduisent àquelques fois, après coup : nous décidions d’abandonner les contenants, les boites, les sacs, les vêtements et nos corps. Pourtant nous adoriooooons la mode, nous aimions les sacs en cuir blanc, les pulls bleus moulants. Nous aimions nous tenir les unes àcôté des autres dans nos chaussures àbandes argentées. Mais les contenants dénombrent et recouvrent. Nous avons arrêté le temps, nous avons supprimé les fictions, créé un ensemble d’histoires sans dehors. Puis nous avons séparé deux choses qui n’avaient jamais été séparées. Pour voir un peu de nouveau, pour sortir des boites ouvertes et des boites fermées. Pour laisser les sacs prendre une des formes du vent. C’est tout l’intérêt de la mousse et des blocs : ce ne sont pas des souvenirs puisqu’ils ne contiennent rien et qu’ils restent quand nous n’avons pas besoin d’être vues.

Maë l Guesdon

On retrouve l’ensemble des contributions ici.

6 février 2014
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