(8) Hôpital Z (première visite)

Hôpital Z. Je suis invité àintervenir sur l’autocensure (en mars au Salon du livre ; en juin àla SGDL). Cette question est au centre de mon projet àl’AP-HP. Cet accident que je n’ai pas prémédité. Mais qui se rappelle àmoi àchaque visite dans un hôpital. Les scènes qui me touchent posent toutes un problème éthique, au moins par rapport àun lecteur. Je me débats comme je peux. Je montre mes textes aux intéressés (qui les modifient, qui les découpent). Ces interventions, cette autocensure, l’intervention de l’autre (que je recherche, que je combats), tord mon écriture. La voix devient plus faible. Parfois, elle produit des sons que je n’entendais pas. Je suis un chercheur qui écoute. L’écriture est en mouvement. J’en comprends les dangers. Ils me découragent ; ils me structurent. L’immédiateté (relative) de la publication sur ce site des scènes que je raconte (par bribes), de manière édulcorée, fictionnalisée, réinterprétée (cesser les interviews ? ne plus montrer mes textes ? attendre l’engueulade ? me cacher dans un recoin de ce site ?). Inventer des noms aux hôpitaux que je visite est compliqué ; leurs vrais noms tapent sur une zone de mon cerveau. Une dizaine de participants autour de la table (des professionnels, qui chapeautent le projet au niveau de l’hôpital). Tous très impliqués. Sont représentés : un service psychiatrique / un autre d’addictologie / un troisième en charge de la rééducation (pour des patients qui ont subi un traumatisme crânien par exemple). Le Docteur T. est très investi (il m’offrira des livres, des sourires, son numéro de portable). Il a déjàmis en place des ateliers d’écriture. Il travaille àpartir d’abécédaires. Il prêche un convaincu. On présente le projet d’affiche : « Ecrivez votre adolescence (…) 1000 carnets sont mis àla disposition des patients.  » L’un d’eux parle du risque de « graphorrhée  » (des patients qui entreront dans une phase maniaque d’écriture). Ces affiches pourraient les perturber. Elles ne seront donc pas exhibées dans le service psychiatrique. Ces patients vont-ils m’écrire ? Si oui, quelle doit être ma place ? Je ne suis pas thérapeute. Ici, je ne suis même pas avocat. Quelle place laisser aux règles de la confidentialité (antinomiques souvent avec les règles d’un écrivain) ? Faut-il prévenir le personnel soignant ? On se met d’accord (en théorie) sur le fait que je devrais rester àma place (être écrivain). Ne pas violer les secrets qui me seraient le cas échéant racontés. Ne pas les susciter. Interroger les patients, dès nos premiers échanges : Souhaitez-vous que je sois transparent avec l’équipe soignante ? Je sors du rendez-vous troublé. A fleur de peau. L’expérience produit son effet. A feu doux.

20 février 2014
T T+