La Fulgurance du geste

Quand les humains bradent leurs rêves, les tragédies commencent.

C’est par ces mots que s’ouvre La Fulgurance du geste, le récent texte publié de Fabienne Swiatly. Le lecteur est ainsi tout de suite prévenu : l’histoire d’amour présentée ici, comme toute autre, finira mal. Mais peu importe, car n’est-ce pas pour le trajet qu’il propose, de son incipit à son point final, qu’on lit un livre ? À moins que ce ne soit pour ce qu’il donne de sens à ce qui paraît n’en avoir pas ? Or c’est bien une énigme que tente de résoudre ce récit d’un amour défait dont on devine qu’il trouve son énergie dans une question longtemps restée muette : comment peut-on mourir d’un chagrin d’amour ?
Bien que la dédicace, reportée après le texte, semble faire basculer celui-ci du côté du récit autobiographique, Fabienne Swiatly affirme « la nécessité des fictions » pour approcher l’impensable d’un événement aussi subit que radical. Et puisqu’on ne peut pas penser ce que les mots échouent à nommer, c’est à partir du corps qui n’oublie rien et enregistre tout que ces mots seront cherchés. Cette attention aux sensations, aux postures et aux mouvements confère à La Fulgurance du geste, comme à la plupart des textes de Fabienne Swiatly, une qualité qu’on pourrait dire cinématographique. Ce qu’elle écrit, le lecteur le voit, l’entend.

Il ressassait des idées boueuses et sa bouche ne souriait plus que d’un côté. Le présent n’inventait plus de lendemains prometteurs. Il l’enlaçait fortement jusqu’à sentir les os sous sa main. [1]

Le bruit d’un scooter agrandit la rue  [2]

Donner à voir resterait pourtant insuffisant à trouver la vérité d’un acte si l’écriture ne prolongeait pas la vision par la mise en perspective des actes et la construction d’un sens.

D’une rencontre récemment proposée par remue.net [3] s’est dégagée l’idée que le roman est cette sorte de littérature qui invente à chaque fois les formes les mieux adaptées à une narration singulière. La Fulgurance du geste fournit un exemple de cette invention de forme au service du propos ; le récit d’une passion et de sa fin brutale appelait un texte incisif, et c’est bien ce qui nous est offert : le texte claque comme drap mouillé au vent d’été. Pour saisir l’événement rebelle aux explications par sa violence et sa soudaineté, l’auteure a imaginé une fiction brève, construite en deux mouvements. Sur chaque page, un premier paragraphe, formé de quelques phrases, trois ou quatre, rarement plus, donne à voir une scène, décrit un climat, installe des personnages dans l’espace et les laisse s’animer. Chacun de ces blocs narratifs est ensuite suivi d’une phrase unique, sans ponctuation, qui fournit un commentaire lapidaire qui résume et commente ce qui précède. Aussi bien, ce pourrait être le titre d’un tableau tout juste peint. Deux lectures sont alors possibles, une première, classique et linéaire, qui suit le fil du texte de page en page, et une seconde qui en enchaînant les unes aux autres ces phrases « orphelines », si justement nommées, construit un second récit, elliptique et poétique :

Le début d’une histoire d’amour / L’exil au deuxième étage / S’autoriser du bonheur / Un tel engagement / L’autre comme une évidence ...

Le livre refermé, on reste un instant suspendu entre ce qui s’achève sous nos yeux, et la reprise qui s’annonce. Autrement. Sans réponse définitive. Tout juste se surprend-on à faire résonner pour soi cette dernière question.

Ce qui était prévu aujourd’hui ?


Fabienne Swiatly, La Fulgurance du geste, L’Amourier, 2014, 59 pages.
Fabienne Swiatly est membre du comité de rédaction de remue.net.

Illustration : Gilbert Pinna, Un tableau, 23 août 2013. On peut visiter son site, le blog graphique.

10 mai 2014
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[1p. 29

[2p. 41

[3L’enregistrement de cette rencontre "Écrire un roman aujourd’hui" est disponible ici.