Mon métier dans la Cité

par Élisabeth Jacquet, en résidence à la Cité des métiers (Paris XIX),

dans le cadre du dossier transversal ateliers d’écriture en résidence.


Ce n’est pas le désir de mener des ateliers d’écriture qui m’a conduite à la Cité des métiers mais plutôt celui d’explorer, avec d’autres, ces questions sur le métier — celui d’écrire ou un autre —, l’emploi — de notre métier ou d’un autre —, et notre sentiment d’avoir une place — par notre métier ou autre chose — dans le monde.


Je n’ai jamais été formée aux ateliers d’écriture et c’est dans le souci d’être au plus près de mon sujet que j’ai établi « mon plan de travail ».

Mon intention était de traiter de préoccupations communes à partir d’une interrogation personnelle ; mon but était donc moins de faire écrire les participants que de les faire témoigner, avec leurs mots, dans leur langue, afin qu’ils apportent, chacun, leur touche particulière à un portrait général : celui de notre société saisie à la Cité des métiers, lieu à la fois consensuel et permissif, à un moment donné.


Pour rendre ce portrait visible et lisible, j’ai construit en amont avec Saraswati Gramish, webdesigneuse, un site de création collective dédié à la résidence : www. mon-metier-dans-la-cite.com

Et j’ai défini deux types d’interventions : un atelier régulier tous les jeudis du mois autour d’un thème précis et un atelier « volant » deux fois par mois invitant le public à laisser une trace de son passage à la Cité des métiers.


Les ateliers mensuels consistaient à extraire certaines questions relatives au métier, à l’emploi, à la place, ou plutôt à prendre au mot certains termes : recherche d’emploi, demandeur d’emploi, profil de compétences, curriculum vitae, corps de métier, senior, cœur au métier… afin de les déplacer de la sphère sociale à la sphère privée, du jargon administratif à l’écho intime. Comment saisit-on ou s’approprie-t-on les mots du dehors ?

Le sujet des ateliers « volants » tendait davantage à offrir aux participants une forme de récréation, un espace de liberté au milieu des contraintes, une brèche d’inattendu dans les difficultés routinières de la vie professionnelle.


Le public de la cité des métiers est préoccupé. Chacun vient ici avec un problème plus ou moins aïgu à régler et ne s’attend pas à trouver là un auteur avec de telles propositions.

Il s’agissait donc pour moi d’amener les participants à dévier de leur trajectoire pour les inciter à se pencher différemment sur une question ou les inviter à un retour sur eux-mêmes, leurs émotions, leurs pensées, leurs sentiments.

Pour chaque thème d’atelier, je proposais des citations d’écrivains, sociologues, philosophes, à lire à voix haute éventuellement, destinées à tracer des ouvertures, des pistes de pensées, et je proposais aussi un chemin de fer (chaque fois présenté sur le site), constitué de différentes propositions, à suivre ou non. On pouvait y répondre par oral, par écrit, visuellement… Généralement, les participants ont choisi l’écrit.


Est-ce parce qu’il ne s’agissait pas d’ateliers d’écriture à proprement parler mais plutôt d’ateliers d’échanges et de témoignages, j’ai souvent été surprise par la facilité avec laquelle chacun rendait compte par écrit de son expérience. Il m’est arrivé parfois de dire : imaginez que vous racontez quelque chose à quelqu’un que vous aimez bien. Il m’est aussi arrivé, très rarement, de prendre en dictée ce qu’une personne me disait pour lui faire ensuite relire le texte et m’étonner de la voir acquiescer à la lecture de son propre texte, dans le plaisir de s’y reconnaître – je n’y avais pas changé un mot.

Cette résidence toujours menée comme un work in progress a généré de la surprise de part et d’autre : si les participants étaient souvent étonnés par ma démarche, ils ne l’étaient pas moins d’avoir su y répondre. Tous ont manifesté leur intérêt de trouver cet endroit où exprimer ce qu’ils taisent la plupart du temps.

Je suis ainsi allée vers plus d’une centaine de personnes. Chacune fut une rencontre particulière et chacune a déposé sur ce site, sous forme écrite, visuelle ou audio, quelque chose de précieux.


J’ai également travaillé avec plusieurs équipes de conseillers et ce fut aussi une expérience très productive. Les conseillers n’étaient pas non plus habitués à ce type de questions qui les amenaient à écrire des textes très personnels. J’ai assemblé et monté ces textes de manière à définir là aussi, à partir de la singularité de chacun, un portrait pluriel du conseiller à son métier. Cette création de textes a donné lieu à de riches échanges entre les conseillers et entre différentes équipes, ma présence agissant comme une sorte de ferment. Ils étaient également étonnés d’avoir produit des textes si nourris — ces textes ne figurent pas sur le site, certains conseillers les jugeant trop intimes.


Au-delà de la question de l’atelier d’écriture, cette résidence m’a montré que c’est la présence de l’écrivain dans une structure et sa façon de (se) poser des questions qui révèle, suscite en écho l’expression et la créativité du public.


Cette résidence à la Cité des métiers, comme son intitulé l’indique, m’a permis d’exercer véritablement mon métier : m’établir dans la cité pour y nouer des relations, éprouver des émotions, découvrir des prolongements à mes questions, nourrir ainsi mon travail. Et en retour donner à chacun la possibilité de sentir ce qu’il ignorait parfois porter en lui et de prendre alors la mesure de sa richesse intérieure.



Elisabeth Jacquet


15 août 2014
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