Rimbaldiennes, de Jacques Demarcq

Rimbaldiennes, de Jacques Demarcq, éditions Atelier de l’agneau, collection Architextes, janvier 2015, 128 pages, 18 €


Bruno Fern sur remue.


 

Sur la couverture, un unijambiste porte une armure et un nez clownesque, personnage que l’on retrouvera plus loin monté sur un cheval et tenant une lance entre ses mains, allure tragicomique qui ne peut qu’évoquer Don Quichotte – ce sont là deux lithographies de Denis Castellas qui, avec de nombreuses autres reproductions, accompagnent dans un dialogue quasi permanent [1] les textes de cet ouvrage où Jacques Demarcq, après avoir salué par ailleurs Gérard de Nerval [2], s’attache à celui qui, contrairement à certains, préféra ne pas faire carrière dans les Lettres.

En neuf parties où alternent prose et vers, l’écrivain, hanté depuis longtemps par l’œuvre et la vie de Rimbaud (les premiers textes présentés ici datent de 1983 et le dernier d’octobre 2013), lui rend un hommage qui part dans tous les sens mais dont le dérèglement calculé est suffisamment irrespectueux pour échapper aux conventions. De la fameuse peinture de Lascaux qui fascina tant Bataille [3] jusqu’à l’île de Lampedusa tristement célèbre pour les bateaux diversement ivres qui cherchent à y décharger leur cargaison de migrants, l’auteur ne manque pas d’établir des liens quelquefois surprenants où les références dites savantes se mêlent à toutes celles qui rappellent le goût d’Arthur R. pour « les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. » [4]. De l’Oise aux inévitables oiseaux qui lui sont chers [5], J. Demarcq entrelace les époques, les registres et les formes dans un ensemble où sont insérés des mots de Rimbaud lui-même (dont un index précise les origines) : une lettre adressée au dénommé Rimbe, récit drolatique d’une errance où l’on croise un certain Paulot, « catholique-alcoolique-&-romain » ; un entretien d’outre-tombe accordé en exclusivité par l’intéressé (où l’on notera, par exemple, cette définition que les fabricants d’à-la-ligne pourront méditer avec profit : « le déséquilibre tenu qu’est un vers ») ; des contes et autres proses, parmi lesquelles l’exposé des us et coutumes d’un pays nommé Boukhistan (« bout qui se tend de page vivante ») ; des poèmes pour la plupart tirés des rimbaldiens, parfois grâce à des parallélismes rythmiques et phoniques :


Rien ne me défendait, ni la Meuse impassible

Je me sentais guettée sous un tyran hâbleur

Un plus barbare Al Qaïda l’a pris pour cible

J’étais acculée dame à décamper sur l’heure


En règle générale, l’inventivité est au rendez-vous, J. Demarcq ne lésinant pas sur les onomatopées à dominante volatile, les néologismes les plus abracadabrantesques (vagabondamment ; se mélanguer ; s’emberlifricoter ; moto-nitruantes-cyclettes ; tourtiller ; babilothèque  ; volubiliser) et les calembours qui ne veulent pas rien dire (« Non pas de l’anti-art, mais un bas art. »), renouant ainsi avec les jeux verbaux de son enfance – donc aussi légers que sérieux car, même s’il ne fait que mi-gratter, le lecteur finira par découvrir au fond de ce livre foisonnant une couche d’« atroce scepticisme ».




Bruno Fern

2 février 2015
T T+

[1L’un des textes les plus réussis est à mes yeux celui intitulé Sans titre, inspiré par le dessin de Pierre Faucher où l’on peut voir une civière qui évoque pour J. Demarcq celle sur laquelle Rimbaud fut porté à son retour d’Afrique en avril 1891.

[3Puisque « l’ami Arthur » ne saurait être, selon J. Demarcq, que « l’auteur de l’ithyphallique graffito pioupiesque, avec sa tête d’oiseau, qui fait « pioupiou, pioou », étendu raide mort sous une bisonne hirsute, les tripes à l’air ».

[4Une saison en enfer

[5éditions nous :. Demarcq : : Les Zozios L’un de leurs meilleurs représentants étant, bien sûr, « le rimbaud, Polyglobis trotter, un drôle de mi-tâteur mi-gratteur ».