Suite des ateliers àVanves

Au début du mois de mars, se tient la deuxième séance au Conservatoire, avec les élèves de Mahaut Rabattu.
Pendant le mois et demi qui a séparé nos deux rencontres, j’ai écrit àpartir de leurs improvisations une courte pièce. Elle parle de mettre en scène une pièce, évidemment.
L’oreille collée àmon téléphone sur lequel j’avais enregistré les improvisations, j’ai dégagé des phrases, des esquisses de personnages et des situations qui me paraissaient intéressantes. Bien sà»r, une fois écrites par moi, elles ont acquis quelque chose qui me ressemble, certains de mes tics de langage ou mes passions pour quelques fautes de grammaire qui me paraissent si belles... Présenter ce texte aux élèves est un moment étrange : la pièce est une rencontre ou un mariage entre eux et moi, mais je suis celle qui a décidé des termes. À présent, je leur rends pour qu’ils en fassent un objet scénique.
Texte àla main, nous commençons àposer des pistes. Je les laisse d’abord totalement libres de proposer des situations pour chaque scène puis je les dirige en quelques phrases (quoique diriger soit peut-être un grand mot, souvent il s’agit de questions). Mahaut annonce qu’elle va continuer àtravailler la pièce avec eux, de son côté, pour la présenter en juin. Je suis enthousiaste. Maintenant, c’est àeux de fixer les termes. De décider ceux qu’ils veulent faire de cet objet hybride qui rebondit d’eux àmoi comme une balle de ping-pong.

Quelques jours plus tard, je rencontre les CM1. Ils sont vingt-huit. Et ils sont minuscules. J’ai beau travailler régulièrement avec des enfants depuis plus d’un an maintenant, je suis toujours surprise (émue aussi, et peut-être effrayée) par leur taille. Avec eux, nous allons écrire une Encyclopédie intime des animaux. C’est-à-dire un croisement entre l’encyclopédie et le journal intime d’un animal (encore de l’hybride, donc).
Pendant la première séance, je les laisse choisir leur animal et faire des recherches sur celui-ci. J’essaie de ne pas analyser leur choix de manière immédiate, même si pour certains la chose est tentante, presque évidente : les enfants timides et esseulés qui veulent faire parler un animal inconnu ou en voie de disparition, les bravaches qui veulent des guépards, les calmes qui se fixent immédiatement sur le chat. Certains en revanche me laissent perplexes : que faire du boa des sables ?
Lors de la deuxième semaine, nous parlons du journal intime, de ce qui le caractérise. Quand ils commencent àécrire, la première difficulté apparaît : comment transformer des informations (factuelles, scientifiques, etc) en fiction ? Les enfants ont tendance àlister tout ce qu’ils ont trouvé dans les livres et sur Internet dès le premier paragraphe du journal. La maîtresse et moi nous efforçons de les convaincre qu’il existe un décollement possible, un arrachement depuis les matériaux de base jusqu’au texte que l’on produit et que c’est dans cet espace laissé béant que se nichent toutes les possibilités de la création littéraire.

Une chose qui m’étonne toujours lors des ateliers dans les écoles : les enfants posent sans cesse la question "Est-ce que j’ai le droit d’écrire ceci ou cela ?". Je réponds toujours : "Bien sà»r, mais est-ce que c’est intéressant ?"
Je crois que pour ne plus se poser la question du droit en écriture, il faut avoir lu suffisamment d’auteurs qui entraînent les textes dans la direction qui leur plaît, sans souci du bon goà»t, du canon ou de l’attente des lecteurs. Mais lorsque les écrivants sont trop jeunes pour avoir beaucoup lu, ou lorsqu’ils n’ont pas le goà»t de lire et donc ne lisent pas hors de l’école, ils n’ont aucune idée de l’ampleur de leur liberté.

12 avril 2015
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