La Magie dans les villes

Premier livre de Frédéric Fiolof


La magie naît parfois de presque rien. Un simple détachement de soi, allié àune capacité d’étonnement qui n’a pas été altérée par les aléas du temps qui passe, peut suffire. Il faut bien sà»r y ajouter une bonne dose d’imagination et de belles velléités de planeur au long cours, qualités essentielles qu’il convient ensuite de maîtriser. C’est ce que fait, àla perfection, le personnage central du premier livre de Frédéric Fiolof.

« Â Il arrive qu’il s’efforce d’être celui qu’on voudrait qu’il soit. Il se rend àun dîner, àune soirée chez des amis, il accroche son cÅ“ur au porte-manteau et il fait des phrases qui tombent rondement dans la conversation. Il sait flatter sans en avoir l’air, grincer ou pétiller quand il le faut  »

Il sait aussi voler légèrement au-dessus de lui-même en posant chaque jour un regard neuf sur les siens (sa femme, son fils, sa fille) et sur un passé récent qu’il aime revisiter. Il peut ainsi reprendre aisément une conversation avec son père mort qui apparaît, perché sur une échelle, pour lui donner quelques conseils quant àla construction de sa future maison. Ou jouer au rami avec son grand-père. Ou encore papoter dans la rue en compagnie de Robert Walser, qu’il croise un matin, par hasard, àla sortie d’une boulangerie.

« Â Le père agite encore ses mains de carreleur, ses mains de maçon. (….) Mais lui, il n’a pas la tête àtirer des plans sur la comète. Son esprit est ailleurs. Il demande àson père comment font les morts pour donner des conseils. Son père descend d’une marche et s’emporte :
Et tu voudrais qu’ils fassent quoi, les morts, àpart donner des conseils ? La vaisselle, peut-être ? Ou qu’ils se promènent àbicyclette le long du canal de l’Ourcq en sifflant des chansons de Trenet ?  »

Quand il ne dialogue pas avec les absents, il s’occupe comme il peut. Il demande l’avis éclairé d’une fée cabossée et reçoit ponctuellement la visite d’un ange volage qui semble expert en état de grâce. Il s’amuse àdevenir invisible. Il rêve qu’il rêve les rêves des autres. Il essaie également de lire sur les lèvres, en particulier sur celles qui ne bougent pas du tout. Il coupe l’ennui en tranches. Il se glisse dans les allées du cimetière voisin pour y caresser quelques tombes. Chaque mercredi, il va dans les rues arroser les chagrins asséchés. Il dit que "procrastiner, c’est apprendre àmourir". Il dit aussi, mais plus fermement, qu’il aimerait enfin tomber enceint, pour porter le prochain enfant de la famille.

« Â Nous n’aurons un troisième enfant que si c’est moi qui le porte, dit-il àsa femme. J’ai cédé pour les deux premiers mais je ne céderai pas pour le troisième.  »

Avec La Magie dans les villes, Frédéric Fiolof brosse, en enchaînant les scènes brèves, le portrait àmultiples facettes d’un perpétuel étonné doublé d’un pince sans rire. Il prouve par l’absurde que l’impossible reste bel et bien ànotre portée en créant sous nos yeux un personnage très attachant. Cet être, bien décidé àmener sa vie comme il l’entend, ne s’en laisse pas compter. Il ne se laisse pas, non plus, abattre par le monde conventionnel et rugueux qui l’entoure.


Frédéric Fiolof : La Magie dans les villes, Quidam éditeur.

Frédéric Fiolof anime depuis 2010 le blog La marche aux pages. Il est également le créateur de la revue littéraire La moitié du fourbi.

1er septembre 2016
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