Elle aimait Cergy

Aussi loin que je me souvienne j’ai toujours vu ma vie comme une série. Une série que mes nombreux déménagements découpaient en saisons. Il y a eu la première saison un peu floue, celle qui pose les bases narratives mais qui prend un peu de temps àse lancer. Celle que l’on oublie assez rapidement. Évidemment, dans l’histoire de ma vie (oui rien que cela) c’est justifiable. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs. Mes parents, je crois, habitaient encore en Picardie mais étant hospitalisée je n’ai jamais vraiment eu affaire au bled nordique qu’est Compiègne. Ils ont sà»rement dà» déménager en région parisienne très rapidement après. Vers Clichy ? Je ne sais plus. Cette première saison est un peu vague. Le seul point d’ancrage dont je me souvienne est Sartrouville. Petite ville sans grand intérêt du 78. Il y avait avant tout son très grand Carrefour (ou je passais beaucoup de temps), son Mac Donald, son Castorama (ou assez bizarrement je passais aussi beaucoup de temps) et son petit cinéma de quartier ou est sà»rement née ma première culture cinématographique.
Cette ville a très longtemps été un point d’ancrage, comme je l’ai dit, car c’était làque vivait la mère de mon père. Le noyau dure de la famille. Je n’y ai, àproprement parlé, jamais vécu mais jusqu’àassez tard dans mon adolescence, presque tous mes week-end et mes vacances scolaires étaient rythmés par les passages àSartrouville. Si ma vie était la série American Horror Story, Sartrouville pourrait s’apparenter àJessica Lange. Toujours présente mais sous différentes formes tout au long des premières saisons. Jusqu’àce qu’elle soit remplacée par Lady Gaga et que je finisse par ne plus jamais retournée dans cette ville.

Si je continue avec mon image des saisons des séries, la seconde serait « Chalons en Champagne, première partie  ». Quatre ans dans la Marne ça vous forge. Mais étant encore très jeune, je n’avais pas conscience d’àquel point cette ville (et plus largement cette région) méritait sa place dans la diagonale du vide qui scinde le pays. C’est un désert culturel et de divertissement. A part si vous êtes vigneron, il n’y a pas grand-chose ày exploiter.
Du coup, la saison trois et mon retour en région parisienne semblait être une libération. Ma mère, que la Marne avait forcé aux petits boulots d’aide àdomicile (il n’y a pas beaucoup de possibilités professionnelles là-bas dans le secteur du social) pouvait enfin espérer des postes àsa juste valeur.
Bois-Colombes était, certes, une petite ville un peu bobo et sans excitations, au moins nous étions proches de Paris, de notre famille. Je ressentais ce déménagement comme un retour au bercail. Surtout que notre départ àChalons avait été précipité par la séparation de mes parents.
Mais làencore, était-ce trop jeune ? Je ne me souviens pas de grand’choses. L’arc narratif général de la saison je le connais, mais chaque petite intrigue se perd au fils du temps. Je sais que l’appartement était confortable, l’école sympathique et ma vie rythmée, plus ou moins, par les dessins animés que je regardais matin, midi et soir.
De toute façon, cette introduction commence àse faire un peu longue et j’aimerais me concentrer sur le cÅ“ur de ce texte, c’est àdire la saison 4 : Cergy !
Je ne rentrerais pas dans les détails du pourquoi nous déménagions aussi souvent (en moyenne tous les 3/4 ans). Tout ce que je sais c’est que, pour moi, c’était devenu un mode de vie normal. Tant et si bien que je m’étonnais quand les gens me disaient avoir habité toute leur vie dans la même ville. Ça me semblait incongru. Après, je n’ai déménagé personnellement que 10 ou 11 fois. Ma mère...ma mère a dà» déménager le double voir le triple. Elle a habité dans le nord, dans l’est, àl’ouest, dans tous les sud ! Et même si je possède pléthore de souvenirs d’elle nous décrivant tous les endroits où elle a vécu, ce sont ceux de Cergy qu’elle nous racontait le plus.

Ma mère avait vécu àCergy il y a de ça maintenant plus de 30 ans, aux balbutiements de la ville. Elle avait 12 ans quand elle est arrivée chez sa mère du sud et elle avait 16 ans quand sa mère lui a gentiment montré la porte. Nous ne pouvons pas objectivement dire que cette période eu été très gaie. Je passerais les détails qui ne regardent personne mais qu’elle ait gardé une si belle image de cette ville en dépit de tout ce qu’elle y a vécu ma toujours fasciné. Était-ce seulement de la nostalgie ? Après tout, nous avons tous cette propension àaméliorer àposteriori nos souvenirs. En tout cas, elle aimait tellement cette ville qu’elle s’est juré y retourner et d’y emmener ses enfants. Ce qu’elle fit.

En plus de 20 ans, la ville et ses environs avaient drastiquement changés. A son époque, Cergy le Haut était….des champs. Autour de la base des loisirs, qui a rythmé nombreux de mes week-end, c’étaient….des champs. Et même àcôté des Trois Fontaines, le grand centre commercial de Cergy, il y avait...des champs !
Entre 2003 et 2006, période où j’y ai vécu, il y avait encore pas mal de nature qui bordait la ville et Cergy-le-Haut se résumait pour moi au cinéma l’UGC car il n’y avait strictement rien de plus autour. Aujourd’hui, malheureusement pour mon cÅ“ur nostalgique, la nature s’est éloignée du centre de la ville et même si elle reste prépondérante dans le département, Cergy s’est vraiment beaucoup (trop ?) urbanisée. Je suppose que c’est un changement inévitable ànotre époque et qu’il ne faut pas voir tout changement comme négatif mais je sais que, aujourd’hui, quand je me rends àl’Université toutes les fins de semaine, je ne m’y sens plus chez moi. Cette ville, qui fà»t pourtant ma ville préférée étant plus jeune, a perdu son charme en 2006. Peut-être avec l’innocence de l’enfance.

En effet, àcette époque, Cergy était pour moi, le meilleur endroit où nous ayons habité. Notre mère nous emmenait dans tous les endroits qu’elle connaissait. Il y avait plein d’activités d’enfants àfaire : la piscine, la patinoire, les sorties dans le bois, la base des loisirs, les Trois Fontaines quand la nature nous lassait un peu. Je fréquentais le même collège qu’elle fréquentait àson époque, le collège des Touleuses (nous avions d’ailleurs eu le même professeur d’EPS), nous allions souvent au Bowling ou elle passait son temps et nous faisions les courses au Auchan d’où elle avait réussi àsortir quelques chariots « gratuitement  » àl’époque (si il y a quelque chose qui a bien évolué en 30 ans c’est définitivement le système de sécurité des grandes surfaces).
D’une certaine façon, j’avais l’impression de vivre un parallèle àla vie qu’elle vivait 20 ans plus tôt et peut être, cela me faisait me sentir plus proche d’elle. Il n’y a pas àdire, cette saison fut pour moi la meilleure. Même les environs de Cergy m’enchantaient. Nous allions régulièrement àEragny. Pour cela, il suffisait de traverser un pont sans trottoir et donc assez dangereux qui enjambait l’Oise. Là-bas se trouvait Le Grand Cercle, un magasin de papeterie, jeux, dvd et autres divertissements ludiques. J’adorais y aller. Évidemment, aux yeux d’un adulte ce genre de souvenirs ne semble pas très excitant, mais pour une enfant comme moi c’était une sorte de petit paradis de couleurs et de formes disparates. Il y avait aussi Pontoise. Cette vieille ville médiévale qui semblait ne pas avoir bougé d’un pouce depuis 1000 ans. Les petits pavés qui couvraient les rues, les petites allées étroites qui rappelaient le sud de la France et donc les vacances… Je me souviens très clairement une petite place pavée, entourée de maisonnettes assez bucoliques et juste làun café-philo ! La dichotomie entre l’atmosphère très provinciale de la petite place, son aspect très rural et cet élément « d’hipstérisme  » en provenance direct du quartier Latin de la capitale, m’avait toujours amusé. C’est d’ailleurs peut être ça qui me plaisait le plus dans cette « géo-localité  » qu’était Cergy et ses environs : Son Hybridité.

Mais bien que Cergy soit une ville objectivement attractive par bien des aspects, il est très clair, aujourd’hui, que l’amour que je lui portais àl’époque était en partie une illusion crée par la nostalgie contagieuse qui animait ma mère. A quel point elle devait aimer cette ville pour, coà»te que coà»te, tout faire pour y revenir vingt ans plus tard alors qu’il était clair qu’elle ne pouvait pas se le permettre… Car aux yeux d’un enfant, les efforts que doivent faire les parents, les problèmes financiers qui les accablent, sont bien loin de leurs préoccupations, si les dits parents font bien leur devoir et épargnent leurs progénitures des problèmes d’adultes.

Comme partout en île de France, les prix de l’immobilier n’avait plus rien àvoir avec celui des années 80 et pour payer le loyer elle devait bien évidemment travailler dure, passer six heures par jours dans les transports, travailler de nuit, faire des astreintes. Je me souviens que pendant plusieurs jours nous ne la voyions pas (elle rentrait tard et repartait tôt) et nous passions notre temps àcommuniquer par post-it interposés.
A quel point devait-elle aimer Cergy alors ?

Malheureusement, la réalité vous rattrape toujours un jour ou l’autre et la saison 4 dut prendre fin. Et nous repartîmes àChalons en Champagne, comme une très mauvaise blague. La vie peut se montrer très ironique parfois.

Solweig Cicuto

18 février 2017
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