Le temps

Le temps.

Étrange comme le temps passe vite quand on est concentré, et étrange comme il passe lentement quand on se fixe intensément un but. L’autre jour ( et pas avec ma femme car je ne suis pas Olivier de Besnoit), j’avais rendez-vous au centre commercial Okabé, à l’autre bout de Paris, bien après la porte de Vanves, à une ville entière de Malakoff et donc pas si loin de là où bosse mammouth (maman pour les intimes).
J’avais un trajet tout tracé pour m’y rendre. Je voulais faire des économies de tickets, j’ai décidé de prendre direct le métro. Comment ? En passant par la ligne 13 qui, depuis son prolongement, est littéralement à cinq rues de chez moi, de grandes rues mais cinq rues quand même. Et si au départ tout se passait bien, malgré une chaleur soudaine et qui a surpris tout le monde comme le cancre du collège dont on voit jamais la tronche et qui débarque un beau jour en cours de math, le reste du voyage fut assez laborieux.
Sans rire, et qu’on se tienne bien aux murs, j’ai mis… j’ai mis plus d’une heure ! Une heure et seulement un changement. Mais ça trainait, ça trainait ! Et c’était long, mais long ! J’ai cru que j’allais sortir pour pousser la rame, et faire en sorte qu’à moi toute seule, ça aille plus vite, tout ce bordel ! Sans parler des grincements typiques à chaque arrêt de station, au mec qui cause fort et qui a un forfait tunnel pour toujours capter comme ça, et de la chanteuse amatrice, avec sa voix de chèvre et sa volonté farouche de mêler instrumental roumain et paroles de Jacques Brel.
Je suis pas contre les mélange et le fait que, même dans la rue, les gens vivent leurs vies, mais… Comment dire ?... J’étais pas prête. Non mais attendez, quoi ! Plus d’une heure ! Et dans ma tête, ça défilait : la liste de toutes les choses que j’aurais pu faire en une heure. J’aurais pu faire le super gâteau chocolat-banane-caramel dont j’ai le secret, j’aurais pu terminer une quête majeur dans le nouveau jeu Zelda, j’aurais pu finir au moins deux fois le dernier « donjon » de Resident Evil 7, j’aurais pu dessiner à gogo, j’aurais pu écrire de belles phrases, j’aurais pu écouter les trois quart des covers métaleux de minniva, j’aurais pu repasser tout le linge sec, j’aurais pu roupiller peinard dans mon divin hamac, j’aurais pu siroter une pina colada, j’aurais pu déguster un hamburger dans la brasserie juste à côté de chez moi…
J’aurais pu aller à la fac, m’installer dans la salle de classe encore au trois quart vide et taper la discute avec ceux qui s’y trouvaient déjà !!! Je mets moins de temps pour aller jusqu’à la fac, à Cergy, que pour traverser Paris ! Non mais c’est un comble. Non mais ça me rappelle un sketch d’Anthony Kavanagh sur le progrès : « avant, pour aller jusqu’à porte de Vincennes, on mettait quoi ? Une heure, une heure et demie. Et maintenant avec les bagnoles et le périph, on met quoi ? Une heure, une heure et demi ».
Ah, je suis d’accord. Mais c’est spécifique à Paris, ça. Pourquoi Paris, d’ailleurs ? Pourquoi que Paris, toujours Paris, encore Paris ? Mais avant, Paris, c’était un cloaque, bon sang ! Les ponts s’écroulaient parce que les gens ne trouvaient rien de mieux que de construire des espèces d’immeubles dessus, et vas-y ensuite que je te balance tous les pots de chambre de la maisonnée par la fenêtre, et plouf ! ça finissait dans la Seine, fin de l’histoire.
Paris, avec ses voitures de partout, avec ses grandes avenues qui n’ont rien à voir avec les paysages de cartes postales vantés par les guides touristiques, avec ses envahisseurs venus de partout et reliés sous la bannière de ce parapluie brandi par celui qui les guident tous. Paris, avec sa bonne odeur de gasoil, son absolu manque de silence quand on marche dans ses rues, et avec ses restaurants hors de prix aussi.
Mais Paris, avec ses chemins de traverses, ses petites pépites découvertes au coin d’une rue, ses créateurs de vêtements, de bijoux, de carnets et d’autres truc, tellement contents de voir débarquer quelqu’un qu’ils te traitent comme un roi et qu’ils sont prêts à sortir le grand jeu des bonnes affaires à tout heure de l’année. Paris, avec ses petits musés qui prennent soin d’eux, ses hôtels particuliers que les manants des temps contemporains peuvent désormais fouler de leurs pieds sans avoir à baisser les yeux devant la haute société. Paris, et ses fiestas atypiques et ouvertes, la seule ville à accueillir des DJ métaleux hardcores, avec quelques villes de pays de l’est, aux noms absolument imprononçables et qui, pour une raison qu’on ignore, ne sonnent pas du tout joyeusement exotiques aux oreilles.
Mais n’empêche… Pourquoi Paris ? Pourquoi Paris en tant que référence ultime ? Pourquoi pas Nancy ? Pourquoi pas Melun ? Melun et ses restaurants de burgers tellement bons qu’on s’en taperait les fesses par terre. Melun, à seulement 25 minutes de Paris depuis la gare de Lyon si on prend un express pour le prix d’un train de banlieue normal. Des villes éloignées, et pourtant on ne met même pas une heure pour y parvenir.
Paris, la ville de l’illogisme. Celle qui bouffe le temps, celle qui est semblable à une sorte de trou noir, celle qui ralentit tout, tout en invitant les gens à aller plus vite. Paris et sa propre logique spatio temporelle. Paris qui, ce faisant, vous retourne la tête. Paris, qui m’oblige à partir de chez moi trois quart d’heure avant l’heure prévue du rendez-vous. Paris, qui ne doit plus tenir les esprits ainsi en laisse. Paris, qui est magnifique mais qui n’a rien d’uniforme. Paris, qui regorge de surprises mais qui peut vous le faire salement payer, au niveau du porte-monnaie par exemple.
Paris, il n’y a pas que ça en France. Paris doit rester à Paris. Je ne veux pas mettre deux heures pour aller à la fac, s’il vous plaît.

Cécile Magueur

13 avril 2017
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