Collemboles

De l’ongle, on suit les routes, les chemins, les sentiers, les pistes cyclables, les cours d’eau, bordés ou non d’arbres, les aqueducs, élevés ou souterrains ou même au sol, les canaux navigables ou d’alimentation, les voies ferrées, les lignes électriques.

On plonge sous les levées de terre à la faveur d’un passage. On surplombe les routes grâce aux ponts. Rien ne nous arrête. On cercle les courbes de niveaux, tentant de lire les minuscules chiffres qui codent l’altitude, minuscule elle-aussi. Aucun effort ne nous est nécessaire, autre que visuel. On continue à pointer : les fontaines-puits-citerne, réservoirs d’un réseau plus large de cheveux fins et bleus nommés rus, ruisseaux, canaux, ravines, rivières, fleuves.

La couleur code et démarque : le bleu pour l’eau, le vert pour la forêt, l’orangé pour les grandes voies de circulation, le jaune pour les plus modestes, le gris des transports en communs, d’énergie ou de personne. L’élan touristique pousse à consigner le moindre arbre remarquable ou point de vue. La plus petite table d’orientation. L’élan d’aménagement, le moindre camping, port de plaisance. La moindre éolienne. Les limites sont soigneusement consignées, administratives, orographiques, hydrographiques. Botaniques : le verger s’oppose à la lande ligneuse, la forêt à la vigne.

Les rectangles nous annoncent les terrains de sport et les courts de tennis, les hangars, les serres, les bâtiments industriels ou commerciaux, qui s’opposent aux bâtiments quelconques, les cimetières les arènes-forts-donjons qui résonnent de sabots imaginaires, les mairies, les hôpitaux. Les blockhaus où nous humons le souffre de l’Histoire. Les monuments mégalithiques autour desquels nous imaginons la reviviscence de rites païens. Même sur la carte qui n’entend inscrire que la surface, le sous-sol affleure : grotte, dépression, source, entrée de gouffre, mine souterraine.

On lève la tête. On a envie d’herbe fraîche cédant sous le poids d’un corps qui s’aménage un repos à terre. De l’ombre-soleil des branchages agités sous le souffle d’été. On imagine l’affairement invisible des arthropodes entretenant la partie superficielle de la croûte terrestre, appelée sol, sans laquelle nous n’existerions pas. On rêve d’étoiles visibles car dégagées de pollution lumineuse et atmosphérique.

Le Grand Paris, à n’en pas douter, a une carte. Sera-t-il un territoire ?

Céline Lafon

16 avril 2017
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