Sébastien Lespinasse | Opéra-Film

[extérieur jour, chaosmos]

nom
noir
nuit
nue

inhume

consumés par le feu

innommer l’écran le cadre
point noir tête d’épingle d’où vient toute lumière
fabrication derrière le masque : camera obscura
les miroirs se regardent
l’espace s’ouvre fulgurant
capter la présence du présent
nevermore chaque particule
l’image brà»le fusionne tourbillonne vibre l’air
poussière allumée
concentré d’ombres qui jaillit

faire lumière toute
le jour le monde dedans
on n’y voit rien
juste sous la lampe
soleil en pleine face yeux éblouis
même àpoings fermés
projecteur en pleine chauffe
lampe policière braquée

[bande-annonce]

l’or
sable d’or
étendu sans limites
et la mer d’huile
en refrain
adoré
grain pellicule
s’y plonger dedans
comme s’abandonner
au présent de la présence

corps fragment nombril haydée politov
plage technicolor au creux de ses lèvres
volumétrie des phénomènes
fragment corps moue monica vitti en joue
vision haptique
toucher les yeux fermés
corps fragment chevelure d’or tippi hedren
photon glacé qui brà»le
rétine tétine du bout des paupières

yeux hors de toute orbite

[voix off – michel piccoli]

l’invention de la faim
la réalité de l’image
crever l’écran
rêver crever celluloïd
danse des cellules
sang vif et or

[hors-champ]

imagination morte, imaginez

[carton]

« Ã§a résiste  »

[son in, équipe de tournage, cinecittà]

on s’affaire ày mettre du dispositif
àcréer de la distance
àregarder dans une autre direction
àinventer un lieu autre
où poser reposer sa tête crible
ombre indiscernable :
n’être plus cerné
par les cibles

[voix off, écran noir, michael lonsdale]

comme tout vouloir dire en un seul mot
un seul cri qui défigurerait toute la langue
trou béant au milieu de la page

soleil éclat trou troué trouvé

[regard caméra pleine face]

[silence]

[plus rien comme avant d’avoir vu]

événement qu’un visage
un monde apparaît

la présence du présent
àportée de regard

[son in, équipe de tournage, hollywood]

on réduit
travaille àréduire
àdécouper en images
àfragmenter en mots
àfaire défaire des syntaxes
refaire le montage

on pense scénario
on plie des histoires
on prend quatre chemins
on crée des personnages
on garde la fin pour la fin
on ralentit les flux
on flotte parmi les décors
on saisit le souffle du vent
on massifie les molécules
on sature les couleurs
on fait briller les casques noirs des CRS
on floute les témoins

[contre-plongée face : la femme àla bà»che]

théorie : projection.
idées, idéa, idéal : projection.
je, tu, il, elle : projection.
faire un feu comme une façon de dire je t’aime àla nuit.

[extérieur jour, la caméra cadre le ciel, les nuages qui passent devant le soleil]
[rythme zébrures de lumière intermittentes : le soleil perce]
[rythme d’aveuglement]

[voix off – alexandre medvedkine]

ça tourne ici
soleil et planètes tournent
révolution du jour
ça tourne un documentaire
cinéma réel du réel

[travelling latéral, la caméra quitte le ciel, trouve la cime d’un cyprès,
descend le long du tronc, tombe sur une pelouse bien verte
]

ça tourne et tout est pareil
les spectateurs regardent devant eux
l’écran traversé d’ombres et de lumières

[plan macro : une chenille processionnaire entre les brins d’herbe,
sa mâchoire géante, son absence d’oeil
]

on tourne un documentaire
on filme les spectateurs
ils se regardent sur l’écran

[autre plan macro : brin d’herbe s’agite au vent]

ils regardent d’autres spectateurs absorbés
la bobine tourne
le documentaire tourne
caméra et projection simultanées

[écran noir]

on tourne
on aimerait tourner un documentaire
on aimerait qu’il tourne partout

filmer des spectateurs
les filmer jusqu’à
jusqu’àce qu’ils finissent par
par se rendre compte
compte qu’ils sont
eux-mêmes
les acteurs
acteurs du film qu’ils

regardent

[cartons]

on dit la morale
on étudie la représentation
on axiomatise

on n’y arrive jamais

[intérieur nuit puis jour qui monte lentement]
[chambre àcoucher vide, lit défait]
[« voix comme dans un rêve  » : rené descartes]

jamais complètement
complètement au clair
avec ce qui résiste àtoute clarté

26 octobre 2017
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