Introduction aux Lectures singulières

J’ai longtemps caché mes handicaps. Depuis l’enfance, je voyais mal, j’entendais mal, je ne voulais pas que cela se voit. Je voulais être comme les autres.
Pendant 10 ans, j’ai fait du conseil juridique en Langues des Signes. Les Sourds m’ont appris la puissance de l’expression par le corps, la beauté de se dire les choses avec les mains, le visage, les yeux… J’ai écrit l’histoire de cette première permanence juridique en Langues des Signes dans le livre Est-ce qu’on entend la mer à Paris ? (L’Harmattan, 2010).
En 2013 j’ai perdu la vue.
Tout a changé : la Langue des Signes ne m’était plus accessible, j’ai changé de métier. Mes relations se sont modifiées : plus encore qu’avant, j’avais besoin des autres, de voir le monde à travers leur regard, de marcher avec eux, d’entendre tout ce qu’ils pouvaient lire pour moi. Je suis devenue plus disponible, plus ouverte. Les rencontres ont gagné en intensité et en intimité. Surtout, ce qui a changé dans ma vie, c’est que je ne pouvais plus le cacher, cela se voyait maintenant, impossible de le nier : le handicap était là.
Dominique Monin, librairie de la librairie « Les Nouveautés » avait aimé Est-ce qu’on entend la mer à Paris ? et nous avions organisé ensemble à la sortie du livre une lecture bilingue français/langues des signe. Je lui ai proposé cette année un projet de résidence qui se déclinerait en un cycle de « lectures singulières ». Le handicap y apparaîtrait, non plus comme une honte ou une défaillance, mais comme force créatrice, un puissant moteur d’imagination.
Il a accueilli ce projet avec enthousiasme, et avec le soutien de la région Île-de-France, nous lançons « Les Lectures Singulières ».
Il y aura des lectures en Langues des Signes, des lectures dans le noir, des lectures chuchotées… Autant de façons de découvrir les mots autrement, par le corps, par la sensualité. Autant de façons d’affirmer sa singularité.

Anne-Sarah Kertudo

5 janvier 2018
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