Didier Galas / Le soliloque d'Arlequin

 

théâtre sur remue.net

Didier Galas présente en ce moment, en France et à l'étranger, un spectacle pour masque seul, qui est en même temps une exploration neuve de la tradition d'Arlequin - ci-dessous sa conception du personnage, et ses notes de jeu pour la première apparition d'Arlequin sur la scène

quelques liens Didier Galas

d'abord visiter le site personnel de Didier Galas

suivre en particulier Monnaie de Singes, avec un Taro Kaja issu du Kyogen japonais et un Roi Singe venu de l'opéra de Pékin

ainsi que Fariboles, soliloque Rabelais, en trio avec François Bon et Charles Tordjman

 

 

 

Didier Galas sera aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux, les 19 et 20 janvier 2002

 

Le personnage d’Arlequin est l’un des plus emblématiques de notre théâtre occidental : on en retrouve souvent le masque sur le fronton de nos théâtres et l’encadrement de nos scènes classiques porte encore le nom de " manteau d’arlequin ". Il est aussi entré dans la ville depuis bien longtemps : son costume avive les couleurs de nos mardi-gras d’enfance, alors que son nom sert d’enseigne à de nombreuses pizzerias ou de surnom aux rappeurs.

Je travaille depuis plusieurs années sur ce personnage. Dans mon précédent spectacle, monnaie de singes, je lui ai même fait rencontrer deux personnages des théâtres traditionnels chinois et japonais.

Avec le petit arlequin, je voudrais lui rendre un hommage particulier, à lui, ce petit personnage qui nous fait rire et qui symbolise parfois l’essence même du comique burlesque. Je voudrais rendre hommage à son histoire, à tout ce qui se cache de nous-même derrière chacune de ses pirouettes facétieuses ; car derrière le mystère d’Arlequin, c’est la fin de notre Moyen-Âge qui pousse ses dernières ramifications (sa première apparition sur la scène date de la moitié du XVIe siècle).

Puis, il y a aussi le masque qui est l’essence du théâtre : un procédé archaïque et artisanal qui est né avec le besoin de re-présenter. Un individu dissimule son identité pour s’imprégner du réel et mieux le transcender ; le visage masqué, l’indivisibilité de la personne devient celle de tous et de chacun et la catharsis devient un jeu d’enfant.

Mais ce spectacle est surtout le fruit d’un plaisir nécessaire. Le plaisir de côtoyer un peu plus longtemps sur la scène ce personnage mystérieux ; le plaisir de défendre ce théâtre du présent, fondé sur le partage de l’instant ; et enfin, la nécessité intuitive de passer par ce travail-là pour avancer et progresser.

Le petit arlequin ne pouvait être qu’un soliloque. D’abord, pour concentrer le sujet sur le sujet Arlequin, le sujet du spectacle ; mais aussi pour lui offrir, pour une des premières fois de sa vie de théâtre, l’occasion de s’exprimer seul ; sans tribut à l’intrigue, à l’action, et au rôle d’amuseur qui est le sien, en qualité de second zanni de la commedia dell’arte, depuis la fin du XVIe siècle. Dans le petit arlequin, Arlequin n’est pas que drôle, il est aussi inquiétant et tragique.

Didier Galas

Le temps de la comédie

La lumière arrive sur le théâtre nu.
Un homme est là, costume bariolé, ceinture à la taille, feutre sur la tête et visage dissimulé sous un masque noir. Il est seul. À la recherche de la forme d’Arlequin, il observe son corps en mouvement. Il réalise une succession de postures dont certaines reflètent fidèlement des gravures de commedia dell’arte du XVIIIe.
Sa déambulation dans l’espace finit par dessiner une chorégraphie indolente qui explore les limites de l’équilibre de son corps.
Lorsqu’il arrive face au public, sa marche s’accélère pour devenir rapide et primesautière. Le masque s’illumine. L’acteur a trouvé le ressort de la mécanique de son personnage, comme un montreur de marionnettes actionnerait les fils de son pantin de bois. Il incarne Arlequin.

commencer
Arlequin marque un rythme avec ses pieds qui s’apparente à un pas de claquette, puis il se place au centre du plateau pour exécuter une révérence.
Tout-à-coup, il est surpris par un son étrange et sourd. Il cherche du regard la provenance de ce petit cri. Le phénomène se produit une seconde fois. Arlequin esquisse à nouveau une révérence, mais il est surpris par un troisième gémissement ; il se retourne d’un bond pour en trouver la provenance, et se met même en garde à la manière d’un boxeur. À la quatrième reprise, réalisant que le bruit provient de son propre corps, il appuie de son index droit sur son buste, puis sur son abdomen et enfin sur son estomac, le petit cri devient alors instantanément un hurlement : c’est là que se cache l’auteur de ces borborygmes.

avoir faim
Il enfonce alors sa main droite dans ses entrailles, pour se saisir de ce bruit. Puis, il brandit ostensiblement devant lui le fruit de sa recherche. Mais, interrompu par un nouveau cri, il réalise alors qu’il n’est parvenu qu’à attraper son propre cœur. Il s’empresse de le replacer dans sa poitrine. Apaisé, il soupire profondément, lorsque trois coups sont frappés de l’intérieur de son ventre. Il brandit un trousseau de clés, l’introduit dans la serrure et ouvre la porte de son ventre. Son estomac apparaît pour s’exclamer :

manger...
Il lutte avec cet estomac récalcitrant, referme la porte et soutient son ventre. Le mystère est dissipé : il a faim et les gargouillis sont des crampes stomacales.

mendier
Il s’approche alors des spectateurs, le regard implorant. Il sort une serviette de derrière lui qu’il accroche à son cou pour être prêt à manger. Regardant les spectateurs, il mendie un morceau de la nourriture. Ne parvenant à rien obtenir de substantiel, il mime un chien pour essayer d’émouvoir les spectateurs sensibles aux bêtes. Il respire, renifle et gémit à la manière d’un chien ; il se dresse même sur ses pattes arrières... sans succès. Vexé, il tourne le dos au public et s’éloigne vers le fond de la scène.

cueillir une marguerite
Il aperçoit une marguerite à ses pieds. Il s’approche d’elle. Il la cueille, la respire, puis arrache un pétale qu’il engloutit aussitôt. Puis un deuxième pétale, et enfin, tous les pétales restants. Lorsqu’il ne reste plus que le cœur de la fleur, il le gobe d’une seule bouchée, mais son estomac gémit toujours. Il a encore faim ! Dépité une seconde fois, il se détourne à nouveau vers le fond de la scène.

chasser une mouche
Une mouche apparaît. Arlequin la repousse du revers de la main et continue sa route. Dans un sursaut, il réalise qu’il pourrait se repaître de cette mouche. Il se lance à sa poursuite. Tâche difficile qui le conduira à s’assommer involontairement. Assis sur le sol, jambes écartées, il ne parvient pas à rattraper la mouche qui finira par s’échapper pour disparaître à l’horizon.
chasser un cafard
Découragé, il laisse ses mains retomber sur ses jambes. Puis, à nouveau, un bruit survient. Arlequin cherche puis suit du regard ce son qui bouge. Il l’attrape pour regarder de plus près l’intrus. Lorsqu’il réalise qu’il est en présence d’une blatte, il s’en détourne, dégoûté, mais son estomac le rappelle à l’ordre. Il maintient alors l’insecte entre le pouce et l’index de chacune des deux mains. Mais lorsqu’il s’apprête à engloutir le cafard, les deux mains se décalent sur sa droite. Les doigts de la main droite tremblent ; la main gauche s’approche, mais elle est aussitôt saisie du même tremblement. Puis, tout s’arrête et les mains retombent au sol.