Carnet de Gibiers du Temps XVIII
: "C'est comme la fin du monde inscrite sur ton visage."
Recommencer. Le théâtre va recommencer.
Le groupe T'chan'g! recommence ces jours-ci le travail, avec la troisième
époque de Gibiers du temps. Le texte ne parle d'ailleurs que
de cela : comment animer l'espace encore vide et sans voix? Comment
le mettre en marche? La première scène pose cette question
à rebours, par le biais d'une caméra, par ce qui justement
marche tout seul. Mais ici la caméra ne marche pas. Comme le
reste, elle est grippée, inadaptée. Elle devient rapidement
grotesque, ou plus exactement obscène, déplacée
dans un lieu où elle n'a pas à être et qui la révèle
pour ce qu'elle cache : une traque civilisée qui ne peut s'empêcher
(ou que l'on n'empêche pas) d'être assassine.
Le théâtre va donc commencer avec cet
objet abject qui ne marche pas. Pour une fois. Pour toutes les fois
où ça marche si bien pour le marché mondial. Par
exemple, cette fois de l'été où un soldat qui sauve
sa peau devient le héros mondial de la soirée, qui ne
se soucie plus du tout de la guerre dont il est le soldat. Ou cette
autre fois, qui transforme la mort de deux diplomates en tragédie,
sous prétexte qu'ils sont mort à la guerre, dans le pays
où ils venaient apporter la paix, sur une route qui tue tous
les jours.. Mais la caméra ne doit pas marcher tous les jours,
sans doute. Il faut le croire. Les gens doivent le croire.
C'est un beau moment que celui où l'on rentre
en répétition, celui où le regard découvre
l'unique, qui n'est pas encore là, mais l'unique pourtant, qui
va se refaire ensuite, tant de fois, et qui ne sera plus jamais vu comme
il est vu, cette première fois de la première répétition.
Avec la fin de Thésée, c'est tout le
mythe qui s'affole et se trouve comme pris à l'envers. Gibiers
du temps fait tout le contraire de ce que l'histoire nous livre. Comme
une délivrance. Au lieu d'être sauvé des enfers
par Héraclès, Thésée lui doit maintenant
la mort. Une mort commandée par ses propres fils, Démophon
et Acamas, ceux que dans le mythe d'origine il avait voulu sauver du
carnage de la guerre civile à Athènes. Cypris-Aphrodite
elle aussi se retourne contre l'origine : elle qui avait organisé
la destitution d'Hippolyte pour se venger de l'affront de ce jeune-homme
qui ne manifestait aucun intérêt pour l'amour des femmes,
Cypris maintenant décide de se venger de celui qui incarne la
virilité amoureuse : elle prépare la mort de Thésée
et de Phèdre, les seuls qui assurent la suite d'Amour, la force
de propagation de la filiation.
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