Bruno Tackels / sur Didier-Georges Gabily, Gibiers du Temps

ces "Carnets sur Gibiers du Temps" - des extraits en sont parus dans "À Vues" édité par Christian Bourgois et Cahiers de l'Odéon

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Carnet de Gibiers du Temps XVIII : "C'est comme la fin du monde inscrite sur ton visage."

 

Recommencer. Le théâtre va recommencer. Le groupe T'chan'g! recommence ces jours-ci le travail, avec la troisième époque de Gibiers du temps. Le texte ne parle d'ailleurs que de cela : comment animer l'espace encore vide et sans voix? Comment le mettre en marche? La première scène pose cette question à rebours, par le biais d'une caméra, par ce qui justement marche tout seul. Mais ici la caméra ne marche pas. Comme le reste, elle est grippée, inadaptée. Elle devient rapidement grotesque, ou plus exactement obscène, déplacée dans un lieu où elle n'a pas à être et qui la révèle pour ce qu'elle cache : une traque civilisée qui ne peut s'empêcher (ou que l'on n'empêche pas) d'être assassine.

Le théâtre va donc commencer avec cet objet abject qui ne marche pas. Pour une fois. Pour toutes les fois où ça marche si bien pour le marché mondial. Par exemple, cette fois de l'été où un soldat qui sauve sa peau devient le héros mondial de la soirée, qui ne se soucie plus du tout de la guerre dont il est le soldat. Ou cette autre fois, qui transforme la mort de deux diplomates en tragédie, sous prétexte qu'ils sont mort à la guerre, dans le pays où ils venaient apporter la paix, sur une route qui tue tous les jours.. Mais la caméra ne doit pas marcher tous les jours, sans doute. Il faut le croire. Les gens doivent le croire.

C'est un beau moment que celui où l'on rentre en répétition, celui où le regard découvre l'unique, qui n'est pas encore là, mais l'unique pourtant, qui va se refaire ensuite, tant de fois, et qui ne sera plus jamais vu comme il est vu, cette première fois de la première répétition.

Avec la fin de Thésée, c'est tout le mythe qui s'affole et se trouve comme pris à l'envers. Gibiers du temps fait tout le contraire de ce que l'histoire nous livre. Comme une délivrance. Au lieu d'être sauvé des enfers par Héraclès, Thésée lui doit maintenant la mort. Une mort commandée par ses propres fils, Démophon et Acamas, ceux que dans le mythe d'origine il avait voulu sauver du carnage de la guerre civile à Athènes. Cypris-Aphrodite elle aussi se retourne contre l'origine : elle qui avait organisé la destitution d'Hippolyte pour se venger de l'affront de ce jeune-homme qui ne manifestait aucun intérêt pour l'amour des femmes, Cypris maintenant décide de se venger de celui qui incarne la virilité amoureuse : elle prépare la mort de Thésée et de Phèdre, les seuls qui assurent la suite d'Amour, la force de propagation de la filiation.