Vendredi et d’autres jours 1/

Écrire, c’est d’abord lire. Je me souviens de l’emménagement dans la chambre de bonne où je travaille, des livres montés en sac à dos dans l’escalier de service, raide, jusqu’au sixième étage, c’était un été très chaud et une voisine rencontrée sur l’avenue m’avait saluée, alors on part en vacances ? Et puis les étagères Ikea. J’avais prévenu, sixième sans ascenseur, mais les livreurs étaient furieux et hors d’haleine. Voyant les piles de livres qui attendaient, l’un d’eux a dit, ah je comprends. Il faut arrêter de lire ou n’achetez plus chez Ikea.
Pourtant j’ai continué, je continue de lire. Entrer dans une librairie c’est pénétrer un domaine, à la fois familier et inconnu, un jardin où se mêlent permanence et nouveauté. Les livres du fonds, ceux qui viennent d’arriver, un terreau fertile, un paysage sans cesse renouvelé.
Depuis quelques années je pousse la porte - qui résiste un peu - de la librairie Vendredi. La porte résiste car elle est ancienne, comme la librairie centenaire. Souvent, au contraire de ce que disait Musset, elle n’est ni ouverte ni fermée mais entrouverte, comme une invitation qui n’insiste pas. C’est possible, semble-t-elle dire, mais vous n’êtes pas obligé. À l’intérieur, un univers entier. Étagères pleines de promesses ceignant deux allées étroites où on peut néanmoins circuler avec, en leur milieu, une table où sont posés d’autres livres. Une caverne d’Ali-Baba. L’échelle est-elle aussi centenaire ? Peut-on s’y risquer ? Les premiers barreaux semblent solides mais plus on monte plus l’impression est précaire. Puis là-haut, peu à peu on se sent gardien de phare, veillant sur les œuvres, sur l’océan de la littérature.

1er octobre 2020
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