Dominique Quélen | des second & premier

des second & premier vient de paraître (juin 2012) aux éditions L’Âne qui butine.
Dominique Quelen nous en avait confié des pages alors inédites pendant l’été 2010, les voici.

Ludovic Degroote l’a lu pour poezibao.


             Ces deux extraits d’un texte inédit de Dominique Quélen ont tout l’air d’articles de dictionnaire. Ils en ont la composition : définition et ses précisions habituelles : niveaux de langue, emplois syntaxiques, exemples attribués ou pas. Ils en ont la typographie : abréviations, guillemets, italique.

             Pourtant dès Rab, le premier article, la méthode lexicographique détone de diverses façons : les entrées sont classées selon un ordre inapparent à la première lecture ; la catégorie grammaticale des mots n’est pas indiquée si bien qu’un nom peut être défini par un verbe (ou l’inverse) ; certaines abréviations, comme « Vb », restent mystérieuses ; certaines définitions incluent des mises en scène narratives du mot.

             Le dictionnaire imaginé par Dominique Quélen est lisible : les entrées existent dans la langue française, la syntaxe des articles est irréprochable mais…
             on commence une phrase …“ on finit par une autre
             on lit un sens …“ puis on lit son contraire… ou on a le choix entre les deux
             au point que bientôt, même comprenant on ne sait plus ce que veut dire ce qu’on a compris.

             des second & premier n’est pas un texte où le langage courant s’éclaircit, où le monde reprend sens commun. C’est bien plutôt une plaque tournante d’explosions rhétoriques, on n’y a pas le choix : malgré qu’on tremble il faut sauter dedans.

             À force de décalages infimes créant des ondes de distorsion qui se prolongent à l’infini, il reparcourt à la verticale la langue à l’œuvre dans système, dans Loque (une élégie) [1], une langue qui soumet à ses questions le corps qui la formule, une méthode progressive de jubilation et de pensée. [juin 2010]
             DD

 

             Lire un autre extrait.


 

Rab (m.) …“ Espace interstitiel. (Spécial.) Zone indéterminée reliant deux ou plusieurs parties du corps. Toutes les choses que tu avais oublié que tu ne savais pas faire, et que tu faisais, à présent que ça te revient, que tu vois que le sachant tu ne les sais plus, te redeviennent des énigmes. (Log.) En inhumer plus qu’on n’en exhume. Créer ou résoudre un problème. Agir avec une grande mollesse. Chercher à ne pas. Ex. : On cherche à ne pas faire ça. (Vulg.) Entrailles de porc ou de chien précipitées dans un fleuve et jetées par-delà la mort, après quoi on peut plonger soi-même ou être également précipité. (Ver.) « Comme étranges, s’enfuient. » (Du B.)

Tabassé …“ Terme jamais employé pour. Cas où rien ne doit dépasser ni sortir. Ex. : la figuration (ou représentation) d’un corps, des vases, un étouffement, à boire ou je tue le chien, etc.

Habitat (m.) …“ Manipulation d’éphèbes. Réussir à stabiliser tous les écoulements à la fois. Raffermir. Gicler. Mesurer. Être en fin d’habitation. Habiter à l’intérieur, à l’extérieur, tremper en partie dans. (Absol.) Aller noyer un porc et un chien dans le fleuve.

Haha (m.) …“ Faire quelque chose de toutes ses forces. Petit fossé où tu tomberais si tu étais ton frère, et qui est plein d’orties. Chien auquel il convient d’échapper en pédalant avec énergie, malgré une complexion un peu molle. Chanson de caractère : « Ventilons, ventilons le cœur affolé », etc.

Salop[p]e (f.) …“ Hygiène. Être passif. Responsabilité morale et civile de l’un (ou du second) vis-à-vis de l’autre (ou du premier). Responsabilité d’un tiers vis-à-vis du premier et du second. Chose ou personne occupée, préposée à. (Mét.) Saloperie : « chien des enfers, salope de vieille bouse dépressive qui vient foutre la merde en ces lieux » (cit.).

Jambes (f. pl.) …“ Couvre-chef. Bonnet. Bob. (Path.) Détachant. Avoir les jambes qui pendent (ou les jambes ouvertes), être comme un sac (de l’angl. to be baggy). (Allus. hist.) J’ai oublié quelle jambe mon frère avait plus courte. On me dit que ce n’est pas grave. Très bien, même, me dit-on, très très bien. Et quelle jambe il a enfoncée dans l’eau puis dans la vase. Encore mieux. Quelle jambe il a tenue dans ses bras, un morceau de genou en moins, au sol, à côté d’un vélo. Celle-ci, me dit-on, n’était pas la sienne, pas plus que la précédente. Étaient à lui les deux qu’il avait, tant la courte que la longue, le jour où elles pédalèrent avec une égale vigueur pour échapper au chien, c’est-à-dire le faire échapper au sort que réserve un chien à qui lui tourne le dos, pédalant pour lui contre le sort, contre ce qui l’attendait sous la figure du chien, et qu’elles le précipitèrent dans le fossé plein de ronces et d’orties. Façon d’échapper au chien, car il disparaît mystérieusement dans le souvenir où mon frère et moi nous sommes réfugiés. Le morceau de genou y est juste remplacé par un morceau de talon, comme étant un point du corps plus lointain. Je courrais moins vite, me dit-on, si j’avais les jambes de mon frère. Mais si j’avais ses jambes, au lieu de me retourner sur lui et sur le chien derrière lui, je serais dans le fossé, fuyant sur place, un morceau de chair de près d’un quart de livre à la main, deux cent vingt grammes exactement découpés dans le talon, j’agiterais la cuisse et le mollet comme de véritables saucisses pour détacher le haut du chien du bas de mon frère, et au lieu de regarder en arrière je baisserais les yeux comme on fait toujours devant celui qui nous précipite avec lui dans le fossé et nous montre que si le corps fuit par en dessous, la tête fuit plus vite et par de plus nombreux orifices.

Rancun(e) …“ Peaux mortes (par nature, oxydation, calcination ou autre). Ex. : le pied, l’épaule, etc. Raie. Chien(ne) de mer. Veste et culotte de mer. Rapport de faits. Propriétés physiques d’un sac.

Aberrant (être) …“ Hybride. Issu de deux éléments conjoints tels que porcs, parents (sur une longue période), etc. Émulation entre un porc et un chien ou situation où on entre en concurrence avec l’un ou l’autre ou les deux. (Loc.) Ne pas trouver à redire [à] ceci, parler normalement (au lieu de ne pas parler normalement par le haut ou de ne pas parler normalement par le bas). On dit souvent trouve à redire à ceci quand on a confondu porc et chien, ou quand on vient de ne pas parler normalement par le haut. Ex. : Dans ce discours où il était question de les ensevelir et de s’ensevelir avec eux, ont été confondus porcs et chiens en grand nombre (ou un grand nombre de fois). (Log.) La différence entre un porc mort et un porc vivant ne réside pas (i.e. n’est pas) dans le porc. Appliqué à un autre objet, cela donne p. ex. un lit pliant - la réalité de ce lit pliant - plier la réalité (sous-entendu : de ce lit).

Régressat (m.) …“ Trou plein d’orties dans lequel on est allongé. Comme il fait nuit, le chien passe à toute allure sans rien voir, ou feignant de ne rien voir, en compagnie du porc et du petit couteau à graisse de porc. Les paquets sont dans la cuisine, on dirait des corps emmaillotés, rangés dos à dos sous la table à côté du flacon de détergent.

Verrou (m.) …“ Les activités de quelqu’un. Prendre tous ses exemples à la même source. Ex. : Veuillez faire annuler Paris. Attention, chien traître. J’ai attrapé encore le tram. Il est aussi haut que son père. Ils sont beaucoup. Ils auraient dû arriver déjà. Bar à service instantané. Billet de demi-place. Le billet à Paris. J’ai été mal branché. Où se trouve, s’il vous plaît, un cabinet. Moi soussigné je certifie que. Pourriez-vous me tracer le chemin à pendre. Je n’ai pas chez moi. Coffret de premier secours. Combien loin d’ici est Vienne. Du combien vous chaussez-vous. Comment s’appelle ça. Danger d’attouchement haute tension. Suis-je la bonne direction. Eau dentifrice. Je suis engagé déjà. Envoyer à la suite de. Cela m’est tombé dans l’esprit. Faire de l’essence. Étage de vitesse. Dans le fait. Femme de foyer. Fièvre de foin. Par fil. Humour pincé. Industrie d’aliment. Maintenir un intervalle d’au moins indiqué. Se jeter sur l’arrière. Lame à rasoir. Lanterne à tempête. Panneau prohibiteur. Papier sensible. Il pend dans l’armoire. Pousser des hélas. Je suis pris déjà. Tout probablement. Par des raisons matérielles. Repasser le même chemin. Rincer la bouche. Roue à voile plein. Signal pour la présélection. Soins pédestres. Souliers de gymnastique. Je n’ai pas de l’argent sur moi. Tamponner la queue d’une voiture. Est-ce qu’il y a quelque part une toilette publique. Tomber au dimanche. Une heure tout entière. Il est victime d’un accident. Voyage d’aller. Etc.

Niable …“ Ébranlé par les chiffres (ou par les faits). Chose à manger, à boire, etc. Matière vivante, en particulier chez les animaux et les fils. Chose regardée. Rotation de la poche. La poche proprement dite ou son extension. Un chien vivant s’exhibe en compagnie d’un porc, flanqué de deux porcs, un porc flanqué de deux chiens, etc. (Vb.) Éliminer dans un espace réduit. [Ne pas] se laisser. Sentence (p. ex. : « interdit d’être traître, ou cela te sera rendu à tel pourcentage »).

Viandes (f. pl.) …“ 1°) Après soulagement et vérification des êtres en tant qu’opérations distinctes. …“ 2°) Lacet enfilé dans les œillets avec tant de précision que les extrémités, ou ferrets, se rejoignent exactement. Refoulement dans un goulot ou dans un tuyau. Famille comportant une série de corps. Effort pour ne pas. Entrave. Échange d’une chose contre une autre. Faisabilité, p. ex. une chose faisable, une chose très faisable, une chose bien (ou très bien) faisable. Filament charnu sur un noyau ou à l’intérieur de la joue, qu’on agace avec la langue. (Ling.) Apex linguæ, le bout de la langue en question. …“ 3°) Se tenir sur ses gardes. Ex. : D’un instant à l’autre on risque d’appeler votre nom pour l’examen. …“ 4°) (Allus. hist.) Il faut goûter d’une (ou à une) seule viande et choisir entre porc et chien. Les deux flottent visiblement à la surface d’une eau noire et limoneuse. Tu prends le chien, une claque ; tu prends le porc, une claque. Choisis.

Fièvre (f.) …“ Vaste cuvette. Occuper sa propre place. Adresse à plusieurs personnes. Être (i.e. se trouver) dans l’obligation de dormir, p. ex. pour dissimuler un défaut, ne pas être témoin, etc. Ne rien avoir, sentiment de perte alors qu’on sait qu’on n’a absolument rien. (Dr.) Toute souffrance, ou toute idée de souffrance, peut être comprimée jusqu’à ne plus représenter qu’un point. Dans des expressions telles que tuer père et mère ou mordre le chien [à la gueule], qu’on dit figurées alors qu’elles ne le sont pas, la drôlerie de la formulation tient précisément à cette apparence de vérité.

Minutie (f.) …“ 1°) Fossé ou buisson dans lequel un chien vient à tomber, précédé d’un garçon à vélo dont le garde-boue, par son nom, évoque un tiroir ou un lavoir à l’abandon. …“ 2°) Étudier attentivement un document, des papiers, etc. Avoir les bras écorchés au-dessus des coudes. Être quoi que ce soit deux fois dans la même vie (i.e. dans la vie d’un même sujet).

Élevage (m.) …“ Passer d’une culture de l’erreur à une culture de la faute, et de l’expression à la rétention des besoins. Ex. : Ce fleuve sinue très bien (sous-entendu : comme un serpent) entre des pâtures et des troupeaux de chiens.

Énorme (m.) …“ Nom qui n’a pas l’apparence d’un nom. Maître (maître-chien, maître-chez-soi, maître-nageur, etc.). Ce qui ne se dit pas, ou pas comme ça. Ex. : « …“ Papa [ou maman, ou quiconque], un franc [anc. monnaie] pour la dépense. …“ Pas dans ces termes, s’il te plaît, pas avec moi. » (Adj.) Brisé par une dent. « Bon nageur, sans prétendre égaler Byron et Edgar Poe, qui sont des maîtres. » (Ver.)

Corvée (f.) …“ Petite corvée. Chose tenue dans la main gauche. Objet traître, p. ex. un chien, un buisson, etc. Injonction. Série d’injonctions : Bats-toi contre/avec. Couche-toi bien/très bien/bien assez. Recule/avance/recule voilà te voilà reculé assez reculé. Rentre bien en toi-même/va sous toi/travaille-toi/travaille-toi assez bien/très bien. Ce buisson dissimule un fossé.

Sous-exagérer …“ 1°) Faire suivre un courrier ou une personne. Rester flou. Changer une pièce. …“ 2°) Être figé. Être obsédé par quelque chose. Ex. : Il est très bien obsédé. Il est littéralement obsédé par ceci. Chanson : « Ensevelis-toi dans cette fosse / Ensevelis-toi dans ce fossé », etc. (Il s’agit de s’ensevelir avec un porc, un chien ou toute autre compagnie. On forme deux strates, dites couches, en alternant père et fils ou homme et animal.)

Substantif (m.) …“ Ex. : dans être sur le dos, dans être impuissant à/incapable de développer sa pensée, ou dans être jeté au sol et répandu comme une chose, un liquide, un chien, etc., être est un substantif.

Extra …“ Indice d’un passage récent ou d’une arrivée prochaine. La salle du père est parcourue en tous sens. On s’y met à plusieurs (i.e. pas moins de deux, c’est le minimum). Un écho. (Allus. hist.) Quand le chien rapporta l’os du chien dans sa gueule, on l’étouffa. Quand il tomba inconscient et mourut, on l’enterra.

Lyrisme (m.) …“ 1°) [Non] négligeable. Indolore. Qui présente une ou deux échancrures, soit sur le maillot, soit directement sur le corps. Qui présente une partie du corps à la vue. Ex. : bomber la joue, le torse, tel ou tel muscle. …“ 2°) Scander. Emboîter, imbriquer. Vis (comme dans vis-à-vis). Panneau, p. ex. pour empêcher de déboîter : « Ici, pas d’expansion ». Moment où il faut déchanter. Être deux éléments imbriqués comme porc et chien au sein d’une phrase, d’une structure, etc. (N.B. Dans le cas d’une phrase, il peut s’agir d’un système de type rat/ratte, mot/motte, blet/blette, ou autre formation similaire.) Être dans un étui dont on a calculé la taille en fonction. (Spécial.) Être le second dans un étui dont on a calculé la taille en fonction du premier.

30 juin 2012
T T+

[1Pour ne citer que les deux derniers, parus aux éditions fissile.