9/ Jean-Charles Dumay lit « Quand bien même », un texte de Mehdi Ben Attia
Aider ?
Aider, oui. Si possible.
Quel genre d’aide ?
Je ne sais pas. Ce que tu veux.
Ce que je veux ?
Dans la mesure de mes moyens.
Je comprends rien. Qu’est-ce que vous voulez ?
Je veux aider.
Aider n’est pas un verbe intransitif. On ne peut pas aider en l’air, sans finir sa phrase, on aide quelqu’un à quelque chose.
Tu fais semblant de ne pas comprendre. Je te propose mon aide. Comme je ne connais pas la nature de tes besoins les plus urgents, je te propose de les énoncer.
Mais pourquoi ?
« Pourquoi ? » Comment veux-tu que je réponde à une question aussi compliquée ?
Ne me prenez pas de haut. Pourquoi moi ?
Je ne souhaite pas répondre à cette question. Je devine que tu es dans le besoin, j’éprouve l’envie de t’aider, je n’ai pas envie d’analyser cette envie et d’y faire la part des déterminismes socioculturels et celle de la bonté, de la culpabilité ou du désir, ni de découvrir que je ne suis pas mû par des intentions aussi pures que j’aime à le croire. Peut-être que je suis sale, ou pervers, je ne sais pas. Je propose quand même mon aide et garde pour moi mes motivations.
Je comprends. Je ne voulais pas vous froisser. Je vous remercie pour votre offre. Je ne peux pas l’accepter.
Pourquoi ?
Vous ne pouvez pas m’aider.
Mais si.
Non.
Je t’assure que si.
Très bien. Alors, aidez-moi.
J’aime mieux cela. Que puis-je faire pour toi ?
Nous tournons en rond. Il me semble que j’ai déjà répondu à cette question.
D’accord, j’ai compris. Puis-je te proposer de l’argent ?
Oui. Qu’attendez-vous en échange ?
Rien. Je te l’offre. Prends. C’est de l’argent.
Je vous remercie.
Tu vois, ce n’était pas compliqué.
De quoi parlez-vous ?
D’une réponse simple à une proposition simple.
Est-ce à dire que votre argent m’aide ?
Il ne t’aide pas ?
Non. Vous voulez que je vous le rende ?
Pas particulièrement. Je voudrais comprendre.
Votre argent ne m’est d’aucune aide. Je vais le dépenser, après je n’en aurai plus. En quoi consiste l’aide ?
Tu vas le dépenser, tu vas donc l’utiliser pour faire quelque chose que tu n’aurais pas pu faire sans cet argent. C’est en cette chose, peut-être modeste, que réside mon aide. Non que je recherche une quelconque reconnaissance.
Vous méritez que je vous sois reconnaissant, mais vous ne m’avez pas aidé. Si j’avais su que vous vouliez m’offrir de l’argent j’aurais dit oui tout de suite. Vous avez parlé d’aide. Il me semble que c’est différent.
Tu veux parler d’une aide qui ne soit pas matérielle ? Qui soit spirituelle ou affective ?
Je ne veux parler de rien, je ne veux rien, je n’ai rien demandé.
Dis ce que tu as sur le cœur. Cela m’intéresse.
Il me semble qu’aider quelqu’un, c’est changer quelque chose à sa situation. Sinon, cela s’appelle la charité. Je suis sans orgueil et accepte votre aumône, et même je vous en suis reconnaissant, mais ne surestimons pas la portée de votre geste.
Tu as raison. Je voudrais t’aider.
Mais puisque vous ne savez pas quoi faire pour m’aider, c’est que vous ne pouvez pas. Vous supposez, ne sachant pas quoi faire pour moi, que je le saurais mieux. Mais je suis comme vous, je ne sais pas. Si je savais, je me serais aidé moi-même.
Alors, tu penses qu’on ne saurait aider quiconque.
Je ne sais pas. On ne peut pas m’aider, moi. Voilà tout.
Je comprends.
Et moi je ne comprends pas. Je ne comprends toujours pas pourquoi vous voulez m’aider.
Je te l’ai dit, je ne veux pas me justifier.
Je ne cherche pas à vous fustiger. Simplement, si je vous comprenais mieux, cela m’aiderait à vous répondre.
Je ne vois pas comment.
Vous vous êtes dit, en me voyant, que j’avais besoin d’aide. C’est bien qu’il y a quelque chose en moi qui véhicule cette envie d’aider, qui dit : Voilà quelqu’un qui a besoin d’être secouru.
Le dénuement matériel…
Le dénuement matériel, y a pas que moi.
Une empathie.
Une empathie ?
Une empathie, oui, une solidarité de personne à personne. Une envie de tendre la main.
A moi ?
Oui. J’ai toujours éprouvé une forte admiration pour ceux qui, dans l’épreuve comme on dit, conservent comme on dit une dignité. Il me semble que si moi j’étais dans la merde, je me conduirais comme un sauvage. Je volerais mes amis, me prostituerais à mes ennemis, il est à craindre que je sois même capable de tuer.
Vous dites n’importe quoi. Vous ne comprenez rien à la vie. Vous croyez qu’il existe une solution de continuité entre l’aisance et la galère. Vous croyez que c’est une question de nature alors que c’est une question de degré. Vous croyez que je suis dans la merde, comme vous dites, ce qui vous permet de penser qu’a contrario vous n’y êtes pas. Mais nous sommes tous dans la merde et, pour filer votre élégante métaphore, les uns y sont jusqu’aux chevilles ou aux genoux, tandis que d’autres y sont jusqu’au cou et que d’aucuns y naviguent en apnée. Vous appelez cela la merde, moi j’appelle cela la vie. La main que vous me tendez, je la saisis sans savoir qui de nous deux entrainera l’autre dans la fange la plus profonde. Je la saisis néanmoins, parce qu’il me plaît de la saisir. Car il y a une attitude humaine que je hais plus que toutes et qui est peut-être la cause de tous nos malheurs, c’est l’attitude de refus. Je ne crois pas au refus.