A propos de Terre Promise d’Amos Gitaï
Les enjeux de Terre promise d’Amos Gitaï échappent un peu à son spectateur. Terre promise est le récit du traffic de jeunes femmes estoniennes au profit de la prostitution israélienne. Et il serait difficile de dire davantage de ce récit tant il est lapidaire.
D’autres films d’Amos Gitaï, comme Kippour présentent cette même caractéristique d’un fil de récit très ténu, et cependant cette manière insistante de filmer près des corps, près des hommes, de ne pas commenter, de laisser tourner la caméra comme on laisse courrir le fil d’un enregistrement et par là même de laisser au spectateur de reconstruire patiemment non seulement le récit mais ce qui lui est périphérique, notamment le commentaire politique.
Le sujet de Terre promise donc, est le commerce des corps. De jeunes Estoniennes ont été trompées sur la nature d’un voyage en Egypte et au terme d’un cheminement nocturne dans le désert et de plusieurs passages de frontières cahotiques, sont ensuite vendues à la criée comme la plus élémentaire des marchandises, puis retenues prisonnières, toujours encadrées par d’épais matons, lesquels manquent rarement une occasion de "se servir" dans cette marchandise humaine, elles sont finalement conduites et séquestrées dans un bordel. Et le film pourrait s’arrêter là, ces femmes escalves sont arrivées à leur port d’arrivée et on devine assez bien cette vie épouvantable du corps-marchandise et de la brutalité qui l’encadre.
Oui mais. Tout comme dans Kippour, les deux scènes aux extrêmités du film, au début et à la fin, scènes érotiques à l’esthétique pour le moins maladroite, sont séparées par le sens du reste du film et de son sujet, dans Terre promise, la fin est assez désastreuse pour son changement subit de registres, cela commence par des flash backs très poussifs qui d’ailleurs ne rendent pas aisée la compréhension d’un des personnages du film, celui de cette Anglaise, dont on se demande vraiment quelle est la place dans cette intrigue touffue à force de n’offrir aucune explication, fait suite à cette série de flash backs de rêverie la scène de l’attentat à la bombe qui donne, au moins pour l’une d’entre elles, la chance inesperée à ces femmes de se sauver de cette prison épouvantable, là aussi à force d’être elliptique, on se saurait être sûr qu’Amos Gitaï nous suggère que ces femmes sont désormais tellement prisonnières, qu’elles ne songent pas immédiatement à profiter de la confusion crée par l’attentat pour se sauver ou sont elles seulement hébétées par la violence des explosions, malgré tout les scènes cahotiques de l’arrivée des secours et de la confuion des êtres sont admirables, plans brouillons et montage au contraire très précis pour segmenter le désordre disent de façon très éloquente la panique et l’incompréhension, mais alors les flash-backs juste précédents ont considérablement entammé la capacité du spectateur à lire les images en l’absence de leur commentaire, ce qui se faisait naturellement jusque là, jusqu’aux trois quarts du film, ne s’écoule plus avec la même fluidité, décidément ce changement de registre est désastreux.
Il est curieux que chez le même cinéaste cohabitent d’une part un exceptionnel talent à suggérer avec une incroyable éloquence, par de longs plans séquences, et au contraire à s’embourber tout à fait dès qu’il tente d’éclairer le propos ou à lui conférer un éclairage plus personnel. Ainsi toutes les scènes de passages des frontières et comment la "manutention" — on parle de ne pas "abimer" ces femmes en les exposant à leur vente aux enchères — de ces femmes devenues marchandises de même que cette ambiance de camions nocturnes, de geoles improvisées suggèrent admirablement l’environnement concentrationnaire, ou encore comme l’anonymat des paysages et des villes rendent cette affaire de commerce des corps tout à fait universel, autant de dénonciations qui se font dans la suggestion et avec elle l’adhésion du spectateur. Et puis au contraire ce qui n’est plus suggéré, mais expliqué, de façon tellement poussive, avec la plus pesante des maladresses, et qui finit par tirer le film vers le bas.