Alain Subilia | To be a carillonneur 4

Où l’on voit le général instin happer peu à peu dans son ombre les images qui devaient l’éclairer…



             10 Le château mental est tout autant un tombeau qu’une matrice.

             Dans ces escaliers la lumière se fait plutôt rare et des êtres en gésine dans l’ombre de la multitude des courants le général s’est dégagé et m’a rejoint.

             Les paysages s’éclairent de leur propre lumière surnaturelle. Comme c’est surprenant ! Même s’ils paraissent à l’intérieur d’eux-mêmes pour toujours, ils se dérobent à mon regard et je tente de prendre quelques photographies des lieux.

 

             Mais l’ombre du général se rapproche de moi et attrape ma main… Ah excusez-moi… Qu’est ce général ? Il faudrait le présenter si cela ne faisait pas déjà longtemps qu’il s’était présenté de lui-même (cf. voir 9 toutes les études qui ont été faites autour du général instin) à savoir voici quelques traits saillants pour vous le resituer au cas où... double / baudruche / nomade / à la tête de quelque chose / on ne sait pas ce que c’est… je crois qu’il veut me dire quelque chose mais en fait il s’agrippe à moi…

 

             Nous chutons maintenant de plus en plus vite environnés d’échelles de lumière. Les rayons se mélangent et traversent notre peau nous zébrant de stries et dissolvant les paysages dans un grand embrasement.

             Notre mouvement semble se retourner. Nous ne chutons pas. Nous grimpons. J’attrape l’une de ces échelles de lumière et derrière moi l’ombre du général. Je me demande comment est-ce possible de posséder encore une ombre ou est-ce une sensation d’ombre ou l’ombre d’une sensation… La lumière nous aspire et me conduit sur une petite estrade.

 

             Je me retrouve dans un grand amphithéâtre de lumière en arc de cercle assis à une table qui ressemble étrangement à ma table de travail (mais qui n’est pas ma table de travail), que l’on a mise là pour que je puisse croire que c’est ma table de travail (qui pourrait également faire penser à une table de montage tant elle est lumineuse et éclaire ma figure que j’en suis aveuglé 17). Les gradins sont inondés de points lumineux. Une cloche sonne inexplicablement depuis que je suis arrivé, elle ne sonne pourtant pas les heures.

 

             Habillé de fines et discrètes rayures de lumière (que seul peut-être je vois) tel un prisonnier c’est bien étrange j’en conviens mais c’est comme cela ce sont les lignes qui m’habillent et cachent ma nudité aux yeux des spectateurs bien que je ne voie pas de spectateurs je me dis que certainement des gens sont là…

             Dans l’unique fenêtre de l’amphithéâtre à ma gauche se découpe un campanile. Comme dans une paisible campagne du sud à midi quand il fait au plus chaud. Je me dis : écoutons, écoutons… écoutez, écoutez… Mais je m’aperçois que c’est un vieux disque rayé sur un pick-up dans l’amphithéâtre qui tourne et passe en boucle le même son de cloche.

 

             Je regarde les photographies que j’ai prises quelques lignes plus haut. La main d’ombre du général me les tend et bouleverse leur ordre. Dans la succession des photographies, j’assiste à une représentation que je n’ai pas vue, ni vécue. Des vues manquent tandis que d’autres reviennent plusieurs fois de suite sans aucune logique, certaines étant d’ailleurs complètement déplacées de leur contexte.

             Entre les photos s’intercalent des temps d’absence interrompant la représentation de silence, parmi toute cette lumière peut-être sont-ce des absences de ma part où il me semble que ne voyant plus aucune photographie je perde conscience.

             Entre deux absences je me demande quelle est cette photographie ? Pourquoi ai-je pris cela ? Quelle était ma visée ? Qu’est-ce que j’y reconnaissais ? Je ne me rappelle plus… Est-ce bien moi qui ai pris cette photo et pourquoi ribambellent-elles à présent sous mes doigts de cette façon ?

 

             Les spectateurs voient les mêmes vues que moi du moins il me semble projetées sur un écran derrière moi mais je n’en suis pas sûr et peut-être suis-je seul à regarder ces photographies que je déplace entre mes doigts essayant de créer une sorte de flip book mental.

             Je me demande où est la solidarité des branches dans cet amas de vues incohérentes comme la poussée d’un arbre en filigrane sur une feuille de papier. Car il ne se passe rien dans mes photographies, c’est entre qu’il se passe quelque chose, mais cet antre n’est jamais montré, m’aurait-il échappé ?

             Je regarde à peine la dernière photographie. Celle-là pourquoi celle-là ? Comment ai-je pu en arriver là ?

 

             J’ai envie de crier de dire eh mais non ce n’est pas comme ça que j’ai vu les choses non non non ce n’est pas comme ça que j’ai vu les choses que les choses se sont déroulées arrêtez tout arrêtez cette projection arrêtez la projection on fait fausse route sonnez l’alarme donnez l’alarme.

             14 Il faut que je rebondisse, que je m’explique, je sens que l’on attend de moi une réponse cohérente. Il me faut parler, je sens qu’il me faut parler, que c’est maintenant mon moment, que c’est maintenant à moi de jouer comme l’interlocuteur au bout du fil me l’avait recommandé, il faut que je dise maintenant tout ce qu’il est en mon pouvoir de dire…

             Je me lève, je me dresse sur l’estrade : maladroitement. J’appuie mes deux mains sur le rebord de la table. Il faut qu’ils comprennent, il faut que vous compreniez.

             L’ombre du général profite alors de cet instant pour s’éclipser à pas feutrés. Allez il a bien joué son rôle d’ombre sur la page. Il est temps de partir pour de nouvelles aventures. Son sac en bandoulière allez en route en route mon général ne tardez pas.

             Je me lance : (L’auteur tente ici une explication.)

18 mai 2010
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