Anne Caillat | Le point de vue d’un personnage
Chronique d’une mort annoncée, voilà le drame que vit celui qui regarde le tableau.
Eurydice va mourir et on assiste à la scène, en direct. Si cette information ne nous avait pas été donnée, on regarderait le tableau autrement, avec plus de désinvolture, moins d’engagement. On pourrait par exemple, penser en regardant Eurydice se tordre sous nos yeux qu’elle est juste morte de peur à la vue du serpent. Mais voilà ! On le sait qu’elle va mourir là devant nous. Alors être témoin de ce moment crucial et assister à l’indifférence totale autour de la victime, ça interpelle. On a envie de crier aux insouciants du tableau : Hé ! Faites quelque chose ! Hé ! Le mou du milieu, tu peux pas te bouger un peu ? C’est évidemment là aussi qu’on traite ce salaud d’Orphée de salaud. Ben oui ! Déjà qu’il fait le beau, se pâmant en musique devant des midinettes grecques le jour de son mariage ! Pas très délicat tout ça. Il n’entend rien, trop occupé à pousser son chant et gratter son instrument.
Et le temps a passé, quelques secondes sans doute, le temps pour celui qui regarde le tableau d’envisager qui pourrait sauver Eurydice ou au moins lui tendre la main. Elle, nimbée de soleil, elle perd déjà ses couleurs de vie. On ressent le froid et l’effroi glacés qu’elle traverse, sa panique, sa lente descente aux enfers.
On voudrait l’aider.