Anne Savelli | Premiers lundis

Depuis début octobre, je sème en ligne quelques petits cailloux, traces de ma résidence à Évry. On en trouve sur le site de L’aiR Nu appelé Les villes passagères. Trajet, visites, rencontres, ateliers, enregistrements : sur mon site, on trouve également une rubrique appelée Évry lundi qui, en toute logique, reprend quelques éléments des lundis que je passe au lycée du Parc des Loges. Elle est moins régulière qu’espérée, prend du retard, concurrencée par d’autres mises en ligne. J’espère bien, cependant, la tenir à jour jusqu’à la fin de la résidence. Les fois prochaines, je l’écrirai à la fois ici et sur mon site. Pour le moment, voici le dernier épisode, daté du 5 novembre :

8h15. Décrire les quais 42 et 44 des RER B et D de la gare du Nord, qu’est-ce que ça pourrait être, un lundi ? Pour commencer, dire le très long couloir qui fait la jonction avec la station de métro La Chapelle, couloir qui mériterait d’être traité à part entière (espace d’exposition pour séries de photos parfois à couper le souffle mais le plus souvent laides et dans ce cas, à l’aller comme au retour tant que les images sont visibles on en veut à tout le monde, RATP, artistes, foule qui fonce de la ligne 2 à la gare) ; couloir selon l’heure fait pour les travailleurs, banlieusards, éclopés, mutilés, démonstratrice de parfums à 3 euros le flacon, vendeurs de ce qui tombe en panne dès la fin du trajet ; couloir à mosaïque représentant soit les quatre saisons, soit uniquement l’automne (pas le temps de détailler) ; couloir pour voleurs, flics qui se suivent, se précédent, se repèrent (couloir à étincelles) ; talons, jambes, fesses, sacs, poches, tresses, fronts, lobes, portables et cravates en masse vers les quais, escaliers, escalators, voies, boutiques, rues, etc.

8h15. Arrivée trop tôt, je m’installe sur les uniques sièges "normaux" de la station, invisibles depuis le quai, rythmé par les atroces debout-assis (ne pas traîner, vite prendre son RER même si, lorsqu’on va en banlieue, le temps de latence peut durer). Où sont-ils, ces sièges à structure bassement horizontale ? Entre les deux voies : celle du RER B qui mène à Robinson (penser Vallée-aux-Loups), celle du RER D vers Évry Courcouronnes où la foule descend. D’ici, on ne peut pas consulter les panneaux lumineux sauf à perdre sa place ; on suit les voyageurs d’un quai à l’autre (le RER D stationne, longtemps, on ne sait pourquoi. Arrive le B. Certains passagers voudraient emprunter le D en sortant du B, ce qui est très facile mais le D qui stagnait démarre trois secondes trop tôt, ils ne peuvent pas l’atteindre). On y lit des formules de physique peintes sur des fonds roses qui servent de décor. Y entend ce qui se diffuse partout dans la gare, pseudo radio faite de tubes inconnus, de chansons qui s’incrustent. Ce matin, ce sera celle-là (ne cliquez pas). Mon cerveau la repère et la bloque la journée : au lycée je n’y penserai pas mais à peine engagé le RER du retour elle va se réimposer et ça durera la semaine. Tous sourires.

*

8h15 en avance RER gare du Nord c’est écrire dans le carnet des Villes passagères. Espérer quelque chose.

2 décembre 2018
T T+