Aucune chanson n’est douce de Danielle Bassez

Aucune chanson n’est douce de Danielle Bassez vient de paraître aux éditions Cheyne. C’est le sixième livre de Danielle Bassez que publie la collection Grands fonds.

De Danielle Bassez, lire Toute la nuit, j’ai roulé vers rien.


 

Aucune chanson n’est douce… et ce récit pas davantage. Sa chanson se fait entendre sans une voix douce – maternelle, peut-être -, qui l’aurait sinon adoucie, au moins murmurée dans le creux de l’oreille. Mais voilà : en mourant la mère semble avoir emporté toute trace d’elle, hormis la photo d’une belle femme posée sur la cheminée et qui, rangée par on ne sait qui, un jour disparaît. Une seconde épouse, bientôt mère, l’a remplacée au foyer familial.

Ils chantent beaucoup, ils chantent dans la voiture, pendant les voyages. Sans doute est-ce une manière de les faire tenir tranquilles. Elle chantonne Perrine était servante, et ils reprennent en chœur. Le fils est assis devant, entre père et mère, parce qu’il est le fils, les filles derrière, parce qu’elles sont des filles, la grand-mère est au fond et distribue les caramels malgré l’interdiction. Chanter est également un procédé efficace, en usage dans certains pays, qui consiste à occuper les corps et les esprits, à mettre tout le monde au même diapason. Pendant qu’on chante, on ne pense pas. Pendant qu’on chante en chœur, on ne se distingue pas. Dans la voiture, derrière le dos paternel, il ne chante pas. Elle le houspille. Elle dit qu’il fait bande à part. C’est vrai.

Celui qui fait famille à part est l’enfant du premier mariage. Il brouille la belle image que la nouvelle épouse du père veuf avait rêvé de donner de sa vie conjugale puis familiale. Elle ne le lui pardonnera pas.

Veuve à son tour et vieillissante, celle qui, d’une haine ordinaire, a fait une gigantomachie où tous les cœurs périssent avant l’âge, se fracture une main qui ne savait pas caresser. La haine fait exploser l’univers quotidien. D’un côté la maison, « creuse comme une coque » et « les objets, immobiles ». De l’autre elle, installée chez une de ses filles. Elle rejoindra le veuf au cimetière tandis que l’autre fils, celui qui n’était pas le sien et qui ne l’est jamais devenu, se rendra sur la tombe de sa mère enterrée avec ses propres parents.

On ira donc la retrouver, celle qu’il a laissée seule, là-bas, en plein champ, en compagnie des deux vieux que tous ont oubliés. On marchera dans le sable. On versera de l’eau. On lui parlera. On lui dira qu’on est son messager, le fragment qu’il a détaché de lui par force pour le lui adresser, sa substance, sa chair, on lui dira qu’on est lui et qu’il n’a jamais cessé de l’aimer.

C’est un récit âpre, sans douceur qu’a écrit Danielle Bassez. Aucun ne s’y nomme de son prénom, seulement de la place qu’il occupait : le fils du premier lit, le fils et les filles du lit d’après, là-bas la mère morte, quelque part entre épouses et enfants, absence et présences, le père remarié, et « elle », enfin, à cause de qui la vie n’aura émergé que sous la forme de ce récit.

5 octobre 2013
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