Comme la mer – mais en mieux

(Quelques vues éparses, fugitives (et forcément) incomplètes).
(Des vidéos sont à voir en ligne sur le site de la manifestation

Vous n’aurez pas vu la mer à La Baule, ou si peu, mais empilé les notes de consommation des cafés en face de la chapelle – on aurait pu tenter l’approche à la Anne-James Chaton et retranscrire l’intégralité des dites notes : façon d’éviter le chapelet d’anecdotes et name-dropping, pointant quand même une des causes du succès du festival, de sa bonne ambiance, de la fertilité des débats qui y ont lieu : sa géographie.

C’est à La Baule, oui – mais c’est dans La Baule, plein centre mais légèrement en repli : dos au front de mer, en somme.
Échelle humaine : il est toujours plus agréable (et ma foi, efficace, en terme de transmission), pour un lecteur, de saluer un auteur assis à la table voisine de la même terrasse, que de faire la queue pour obtenir une dédicace.

French wine is not dead – le nom de l’un des vins choisis et servis par Thierry Guichard du Matricule des anges.

Celui-ci, ou son frère (une production du même viticulteur du Languedoc), tonique et coloré, allait avec Quitte ou double, le grand, beau et hilarant premier livre du regretté Raymond Federman.

L’exercice matutinal ou presque est réjouissant en plusieurs sens : Guichard ne jargonne ni ne surplombe, cause en amateur éclairé des vins qu’il aime ; et il raconte les livres (y compris des livres irracontables comme Quitte ou double) à merveille : comptage de nouilles chez Federman ou rapport à la nature, à la neige, au froid dans le Nord-Montana de Rick Bass, là où l’essence – on l’apprend, on nous l’a confirmé plus tard – gèle dans les réservoirs.

L’Histoire collective n’est jamais qu’une fiction – pas de vérité historique (O.Rohe) - Mathieu Larnaudie lisant quarante minutes des Effondrés, chroniqué ici, c’est une aventure exigeante, tant la force hypnotique et la rigueur analytique se mêlent de singulière façon, tant l’intrication est grande entre et dans ses longues phrases, tant le récit et l‘analyse de ce moment-là d’un monde en partage (et si séparé) se mêlent. « Pendant qu’il le détaille, il l’analyse – il supprime la métonymie » (Oliver Rohe).

Lecture en avant-propos d’un échange passionnant avec son compère Inculte Olivier Rohe, où il est question, longuement, de cette volonté affichée comme commune, dans leurs travaux personnels, de désidentification. De la littérature, comme moyen, comme potentialité, de se départir des entraves originelles – identitaires. Riche discussion contradictoire et nourrie, avec une salle bondée, à seize heures, en juillet, dans une station balnéaire. Et de savourer ce moment, lorsque dans une salle bondée, à seize heures, en juillet, dans une station balnéaire, résonnent des phrases comme « Je pars du principe qu’on naît tous enfermés. Le but d’une vie serait de sortir de soi ».


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout est là, visible, à découvrir, à saisir. – De cet autre échange en après-midi, entre deux autres auteurs en affinités (par ailleurs également membres d’Inculte), Maylis de Kerangal et Hélène Gaudy, on retiendra une communauté d’esprits moins portée vers l’abstraction, mais non moins profonde et subtile. Il est longuement question de la phrase et de la description, une d’une forme de description, en creux chez Gaudy, en amples flux chez De Kerangal, et de l’espoir porté par cette réflexion d’un récit d’un monde renouvelé. Quelques bribes saisies au vol :

« Comment l’écriture peut s’y prendre pour prendre en charge tout un espace, un lieu, c’est tout l’enjeu de la description. »


« Une manière de tout décrire de ce qu’on voit, de ce qui est apparent à saisir, et sans se situer jamais dans la psychologie on peut aller très loin dans ces sensations. / Toute émotion intérieure peut avoir une trace physiologique, même infime, même difficilement perceptible – et ça l’écriture peut l’appréhender, et permettre alors beaucoup, même avec lyrisme / L’idée c’est de capter de la vie. »


« Nos corps sont nos messagers et nos porte-paroles. »



Quand on est un auteur on est un collectif (Stéphane Audeguy) – une rencontre avec Pierre Senges et Stéphane Audeguy, basée entre autres sur la question de la documentation et du rapport aux archives, aux sources, excède ce socle d’intention dans un grand ravissement, mieux : elle nous documente, entre mille choses, sur les deux jours passés de ce festival, sur les livres des autres auteurs en présence (ainsi cette seule phrase, quand on est un auteur on est un collectif pointe la question posée en général aux Incultes mais pointe une réponse formulée me rappelle une des réponses formulées par Rohe la veille quant aux voix segmentées de son Peuple en petit :
en chacun il y a beaucoup, en soi on est très, très nombreux.

Quand on est un auteur on est un collectif , dit par Audeguy, est l’occasion de démonter en douceur une des deux acceptions originelles du mot auteur : auctor, qui dit certes autorité – et nos deux savants bricoleurs qui pourraient sans mal l’exiger, qu’on leur accorderait, l’envoient paître avec humour et joie folle, cette notion, dans leurs livres et discours – mais auctor, qui dit aussi : celui aussi qui ajoute, qui augmente, le copiste médiéval qui écrit dans les marges, comme Pierre Senges qui continue les entames laissées vacantes par Kafka ou reconstitue un roman imaginaire de Lichtenberg, pour « bien montrer qu’il n’y a pas d‘aspect assertorique de l’autorité, mais essayer de multiplier les possibilités ».

Une discussion ouverte et délicieuse. Ainsi à propos du reproche qui a pu leur être fait d’anachronisme (citer Gide au XVIIIe chez Audeguy, ou en usant du mot d’ananas au XVIe chez Senges), Audeguy : « C’est jouer une partition de maintenant sur un clavecin, voilà tout. Je ne me sens pas lié à l’idée d’avant-garde parce que je vois le temps spatialement. Si j’ai envie de jouer sur un clavecin je ne me vois pas bouder mon plaisir. (…) Rendre hommage à l langue du XVIIIe siècle ne veut pas dire faire une copie de l’ancien pour le vendre à Conforama, c’est retrouver un usage de la parole, de cet esprit de salon. »

À partir, encore, de cette idée de commentaire, de partir de textes existants, Senges : « à partir du moment où il y a un vide, il y a une tendance de l’imagination à le remplir – et si l’on se réfère à la bande dessinée, par exemple, au vide entre deux cases, c’est ce remplissage qui nous fait comprendre les analogies ».
Un moment d’exception, réellement, sans rodomontades ou concurrences d’ego, un partage de connaissances de toutes origines, en refus de quelque componction ou sacralisation, qui fait courir chacun vers les livres des deux (et pour ma part, de Audeguy, que je ne connaissais pas encore).

« Il n’y a pas d’épuisement de la littérature. Je pense que c’est même l’inverse. Plus il y a de textes écrits plus il y a de possibilités. Tout cela ne fait que commencer. »


16 juillet 2010
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