Conversations entre onze heures et minuit, par Chloé Delaume

Charles Huard (dessin), Pierre Gusman (gravure) (DESCRIPTION : Bois gravé dans Œuvres complètes de Honoré de Balzac, La Comédie humaine, texte revisité et annoté par Marcel Bouteron et Henri Longnon, Études de mœurs : Scènes de la vie de province, IV, Le Lys dans la vallée, édité par Louis Conard (Paris, 1927). Coll. Musée Balzac, Saché, cote 4.1.LYS.6.),
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Samedi 17 mai 2014
au Musée Balzac de Saché


CONVERSATIONS ENTRE ONZE HEURES ET MINUIT
AVEC CHLOÉ DELAUME


Conversations entre onze heures et minuit est le titre d’une nouvelle publication annuelle du Conseil général d’Indre-et-Loire dont le premier numéro sera dévoilé au public le 17 mai 2014 à l’occasion de la Nuit des musées : le texte de cet opus, écrit par Chloé Delaume à l’issue d’un séjour littéraire de trois jours et trois nuits à Saché, sera intégralement lu par l’auteure à partir de 22 heures et fera l’objet d’échanges avec le public. Et en première partie de soirée, des expériences immersives dans la vie quotidienne de Balzac et l’univers du Lys dans la vallée seront proposées dans le musée.

En juillet 1832, alors qu’il est au château de Saché, Honoré de Balzac espère achever pour l’éditeur Louis Mame les Conversations entre onze heures et minuit. Ce recueil ne verra jamais le jour. Il devait regrouper L’Épicier (1830), La Transaction, la Scène de Village, le Voyage de Paris à Java et les textes parus dans les Contes bruns (janvier 1832).

Programme de la soirée



> 20h à 22h, musée

Déambulations, improvisations et lectures d’extraits du Lys dans la vallée par Anne Steffens, avec diffusion de séquences sonores immersives dans plusieurs salles du musée. Dans la tour ronde, diffusion de lectures des lettres de Balzac évoquant sa vie quotidienne à Saché.


> 22h à minuit, grange

Lecture, discussion et dédicace par Chloé Delaume du texte écrit en résidence, Conversation n°1.


> 19h à minuit

Dégustations culinaires (café Balzac, thé, spécialités gourmandes) et vente de l’édition du texte de Chloé Delaume, Conversation n°1, premier numéro du journal Conversations entre onze heures et minuit faisant écho à un projet éditorial de Balzac envisagé à Saché mais qui ne vit jamais le jour.

Informations complémentaires : www.musee-balzac.fr // Consultez le récit du séjour littéraire de Chloé Delaume à Saché // Voir la vidéo de Chloé Delaume en résidence à Saché

Samedi 17 mai 2014
au Musée Balzac de Saché 37190 Saché - Tél. : 02 47 26 86 50 - Courriel : museebalzac(@)cg37.fr

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Extrait du texte de Chloé Delaume (Intitulé pour le moment Conversation n°1 )



J’étais venue à Saché, expérience immersive. Trois jours là où Balzac a créé Le Lys dans la vallée, travaillé sur Le Père Goriot, Illusions perdues, César Birotteau. Patrimoine littéraire français. Honoré de Balzac, né à Tours le 20 mai 1799, mort à Paris le 18 août 1850. « Je vis sous le pire des despotismes, celui qu’on se fait à soi-même », son rythme de travail, dix-huit heures d’écriture par jour. Café concassé à la turque, il aime se lever à minuit. Prophétise à la quarantaine. « Quatre hommes auront une vie immense : Napoléon, Cuvier, O’Connell, et je veux être le quatrième. » En précise les arcanes majeurs. « Le premier a vécu la vie d’Europe, il s’est inoculé des armées ! Le second a épousé le globe ! Le troisième s’est incarné dans le peuple ! Moi j’aurai porté une société tout entière dans ma tête ! ». Le café qu’il boit est très fort, un jus épais, comme sa ponctuation. Dans le marc chaque matin se lisent des destinées. « Faire concurrence à l’Etat civil ».


Honoré de Balzac, quatre-vingt-onze romans et tellement de nouvelles, articles, essais, textes brefs, auxquels s’ajoutent une cinquantaine d’œuvres inachevées. La Comédie Humaine, environ 20 000 pages. 2 500 personnages, dont 573 que l’on peut retrouver, évoluant, premiers plans ou simples figurants, de roman en roman. Expérience immersive en patrimoine français.


J’ai été happée tardivement. À la faveur d’un rude hiver, où l’ennui me broyait le cœur, pour seule compagnie une cheminée. C’était l’année de mes 25 ans, une maison en province lointaine où on m’avait abandonnée. Réédition complète, les étagères ployaient, je découpais page à page, une reliure à l’ancienne, un couteau de cuisine en guise de coupe-papier. Je ne me distrayais pas, j’éprouvais du plaisir, soit. Je m’évadais, aussi. Lire pour fuir le réel, je l’avoue. J’en ai honte. Mais c’était plus que ça, comme une étude de mœurs, un cours à domicile, le petit peuple de France, l’extérieur, âmes plurielles, l’humain, ses mécanismes. Abandonnée, qu’importe. Cette maison n’était pas la mienne, mais je m’appropriais un monde où je me sentais attendue. Parfois dessus mes hanches poussait une crinoline, et des bals se donnaient sur le parquet glacé.


J’ai été convertie pleinement, Balzac, des mois à ne vivre que dans ses livres. Tout en me demandant souvent ce que seraient ses femmes de trente ans si son époque était la mienne, s’il devait écrire aujourd’hui. Des femmes, des amoureuses, des maîtresses, des épouses, des intrigantes et des putains, mais pas obligées d’être des mères.


L’année de mes 25 ans, j’ai repris la lecture du Lys dans la vallée. Détestation d’Henriette intacte, comme si je ne pouvais évoluer, dépasser mon jugement, mes premières impressions. Soudainement incapable de prendre en compte le contexte, la condition de la femme, Touraine, XIXe siècle ; le projet de Balzac, ce qu’il raconte à travers elle. La chaste et courageuse Henriette. « N’aigrissez pas le lait d’une mère ! ». La dévouée, valeureuse Henriette. J’ai toujours les œuvres complètes, autres étagères, quinze ans après. Le volume du Lys est en charpie. Cet hiver-là, dès qu’elle l’ouvrait, la comtesse Blanche-Henriette de Mortsauf née de Lenoncourt, le livre traversait la pièce avant de se heurter au mur.


J’ai un rapport particulier aux personnages de fiction, quels qu’ils soient. Parce que j’en suis devenu un moi-même. Parce que ce sont eux qui nous forgent, nous accompagnent et parfois veillent. La lecture et la vie, apprentissage commun, transmission et partage, le rapport au monde se modifie, l’âme relativise ses chagrins, le corps reste vivant, les héros se sacrifient sans que le papier ne tremble. Les héroïnes du XIXe, à part Nana, je n’en n’aime aucune. Emma Bovary m’insupporte, Madame de Rênal m’exaspère tout autant que Madame Arnoux, et quand Gervaise est enfin morte, j’étais bien aise qu’elle soit moisie. Mais Henriette de Mortsauf, c’est pire. Une véritable ennemie, une insulte à l’intelligence, ses bondieuseries, ce romantisme. L’existence par procuration, la jouissance dans le renoncement.





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7 mai 2014
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