balade photo

Rue des Boutiques Obscures

(quelques considérations, en passant,
sur le commerce de la librairie dans le quartier
du Marais à Paris)

 

 
sommaire des chroniques de Dominique Hasselmann
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La photo figurant sur le livre en vitrine inviterait à un nouveau voyage : « Kafka à Prague ». Mais la librairie Chir Hadach, rue des Hospitalières Saint-Gervais, est fermée, c’est samedi, c’est le jour du sabbat. Didier Daeninckx est lui aussi prisonnier derrière la glace.

Il serait temps que la laïcité pure et dure fasse rouvrir de force le commerce de ces librairies quand le flux touristique commence à se déverser dans le quartier du Marais, rue du Temple, rue des Rosiers, rue des Francs-Bourgeois…

Franz Kafka, lorsqu’il est venu à Paris, en 1910 et 1911, avec son ami Max Brod, avait-il pu se rendre dans un de ces lieux de recueillement pour feuilleter des œuvres de littérature française ?

Une autre librairie est logiquement fermée malgré son enseigne : « Le livre ouvert ». D’autres laissent admirer, de l’extérieur, leur désordre apparent avec publications en hébreu, Anciens Testaments, chandeliers et accessoires de prière.

Quelques Juifs pratiquants se hâtent vers une synagogue. La polémique s’écrit sur des banderoles dans la rue des Rosiers, car la mairie du 4e arrondissement souhaite la transformer en zone piétonnière : une sorte de ghetto à visiter pour groupes de promeneurs le dimanche ?

Déjà les magasins de prêt-à-porter de luxe remplacent les commerces traditionnels. L’Histoire-marketing (ou le marketing de l’Histoire) est irrémédiablement en marche : un café moderne s’appelle, sans doute de façon prémonitoire, « Amnésia » ! Et le hammam Saint-Paul, après avoir été transformé en boîte de nuit branchée, abrite désormais un vaste magasin de « design » italien.


Un bouquiniste laisse, lui, son couloir ouvert à tous vents dans la rue Pavée : il vend, de manière imperturbable, ses "livres en papier" depuis des années, ses ouvrages surréalistes introuvables et ses affiches de naguère, que l’on peut découvrir en gravissant les marches de bois qui mènent au grenier où elles se présentent à l’horizontale.

La vendeuse m’explique le projet municipal de « réhabilitation » qui mobilise les riverains du quartier : créer une sorte d’enclos à but marchand pour que des colonnes de touristes puissent venir en rangs serrés, dirigés par un guide agitant un petit drapeau bleu ou jaune en signe de ralliement, découvrir dans la capitale un lieu exotique, bien délimité, à vocation religieuse, et en rapporter quelques souvenirs.

Sur la façade du restaurant Goldenberg, la mémoire de l’attentat terroriste est toujours gravée dans le mur. Comment ne pas penser au récent film de Marco Bellochio ( Buongiorno, notte) ?

A Rome, une plaque commémore l’assassinat d’Aldo Moro le 9 mai 1978, retrouvé dans le coffre d’une 4 L Renault rouge, près de la rue des Boutiques Obscures… Le nom même du titre du prix Goncourt décerné à Patrick Modiano en novembre de la même année.

Littérature et peinture aussi : la rue de Braque, comme un fait exprès, n’est pas loin du musée Picasso.

Et l’Hôtel Soubise, qui abrite les Archives nationales, avec sa cour somptueuse, montre indirectement que les livres que nous avons lus sont, en réalité, nos précieuses archives personnelles.

Dominique Hasselmann, avril 2004.

A consulter :
http://www.guysen.com/print.php?sid=429
http://www.radio.cz/fr/article/47960
http://www.remue.net/litt/kafkababel.html
http://www.paginaitaliana.de/moro.html
http://www.academie-goncourt.fr/palmares.htm