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Les fantômes urbains de nos amis à la page vivent aussi le jour

 
sommaire des chroniques de Dominique Hasselmann
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Triangle parisien magique, sans doute, que Les Deux Magots et le Café de Flore, encadrant, comme des serre-livres, la librairie La Hune avec en face la brasserie Lipp, à Saint-Germain-des-Prés.

Même si la place du même nom s’est doublée depuis quelque temps d’un poteau indicateur, juste à la sortie du métro, portant la mention «Place Sartre-Beauvoir, Jean-Paul Sartre 1905-1980, Simone de Beauvoir 1908-1986, Philosophes et écrivains».

Car ces lieux, malgré la circulation automobile encombrante, et le caravansérail touristique, restent comme empreints du passage et de la présence indélébiles des penseurs, poètes, artistes qui les ont animés, à une époque où Emporio Armani ne possédait pas encore pignon sur le boulevard Saint-Germain, en face.

Mais les fantômes urbains de nos amis à la page vivent aussi le jour. Leurs traces sont impalpables, c’est-à-dire réelles.


S’asseoir à la terrasse des Deux Magots, commander un expresso (4,00 euros) et lire sur la note que pour découvrir « Les secrets des Deux Magots », il suffit de composer le numéro 08 92 68 01 40 (code 315) rassure immédiatement quant au progrès à marche forcée de la connaissance.

Pourtant, dans les sous-sols du café mythique qui fut fréquenté aussi bien par Jean-Paul Sartre (qui habita un moment juste au-dessus de l’établissement, c’était plus pratique pour le petit déjeuner) qu’André Breton, Raymond Queneau et tant d’autres, trois antiques cabines téléphonique sont toujours fidèles au poste : «Mademoiselle, pourriez-vous me donner Passy 43 - 67 ?».

Flash-back : le prix littéraire des Deux Magots fut attribué la première fois, en 1933, à Raymond Queneau pour «Le Chiendent» (Gallimard). En 1941, il fut décerné à J.M. Aimot pour « Nos mitrailleuses n’ont pas tiré » (Fasquelle).

A côté, telle une vigie attachée à son mât (mais oui, c’est l’époque d’Ulysse !), la librairie La Hune, avec sa coursive moderne, inspecte l’horizon littéraire et artistique ; elle fait presque tampon avec le Café de Flore, situé de l’autre côté de l’étroite rue Saint-Benoît, qu’Apollinaire fréquenta dans les années précédant sa mort le 9 novembre 1918, deux jours avant l’armistice de la Grande guerre. Une voie toute proche transmet l’image de sa tête avec bande Velpeau.

Évidemment, La Hune est... unique et il faut espérer qu’elle ne soit pas contrainte de déménager un jour, comme son cousin Le Divan (situé naguère près de l’église au clocher pointu) qui proposait au fureteur occasionnel ses ouvrages de psychanalyse et son abondant rayon de romans policiers, et qui a été remplacé au débotté par une boutique de la marque Dior.

Des consommateurs-visiteurs prennent en tout cas leurs aises dans ces deux havres mémorables, calfeutrés, calfatés, où l’on peut également se restaurer. Les serveurs sont habillés à l’ancienne, en noir et blanc (pour la photo !), et l’on croit soudain apercevoir le garçon de café décrit par Jean-Paul Sartre dans «L’Etre et le Néant», même s’il semble quelque peu rajeuni...

De l’autre côté du fleuve automobile, c’est Lipp, brasserie à choucroute, hareng Bismarck, pommes à l’huile, filet de haddock poché, au beurre blanc. Un monument gastronomique, intellectuel et politique - et une réputation jusqu’au Maroc. Deux grosses voitures aux vitres fumées stationnent là où c’est interdit. Il est déjà plus de 16 heures, des VIP sont apparemment encore en train de discuter affaires, ainsi va le monde.

Le temps serait donc bien à la fois une réalité empirique et une idéalité transcendantale de notre entendement (penser à relire Kant)…

D.H., 10 juillet 2004.

Rayonnages :
http://www.fluctuat.net/livres/librair/Default.htm
http://actu.remue.net/2004_06_01_archivLIVRES.html - 108746010173110905
http://www.lesdeuxmagots.com/
http://www.origrafica.com/farrell/lare2.htm
http://www.queneau.net/
http://www.liberation.com/livres/sartre/
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Simone_de_Beauvoir
http://www.brasserie-lipp.fr/