Denis Montebello | les sorciers n’ont pas de nombril

Denis Montebello a lu ce texte inédit lors de La Nuit Remue au Théâtre Ouvert, ce 17 juin. Un texte né d’une phrase qu’il a recueillie dans un village des Deux-Sèvres et qui signifie dans sa traduction du poitevin-saintongeais (appelé aussi parlanjhe) : les sorciers n’ont pas de nombril.

Le personnage (celui qui jase ici) a fait le voyage du Poitou jusqu’au Québec. De Montréal il s’est transporté àEdmundston, Nouveau-Brunswick, puis àMoncton. Làoù le français est d’abord poitevin, un poitevin mêlé d’anglais. C’est le chiac, l’équivalent du joual au Québec : une langue parlée et que les jeunes écrivains acadiens osent maintenant écrire. C’est beaucoup en joual et un peu en chiac que le texte nous dit ce quelque chose des origines et de l’enracinement. Les deux premiers chapitres àdécouvrir ici.

Fabienne Swiatly

Denis Montebello est né en 1951 àEpinal. Il vit àLa Rochelle depuis 1978. Ses livres sont pour la plupart publiés chez Fayard et au Temps qu’il fait.


I

Ton chien est mort ! Ton chien est mort ! Tu entends. Tu reconnais Adrissa Thériault, de Caraquet. Pis ton chum quand il gueule. Toi tu voulais seulement comprendre. Parler mais il t’écoute pas. Il gueule. Maudit que je suis tanné de mes voisins, méchante gang de colons, du gros chien sale qui a fait ça. Déposé la trappe àsouris pis collé sur la porte ce message en anglais. Le maudit épais. J’ai-tu yenque ça àfaire moé tu penses ? Ramasser ta marde, tu crois que j’ai que ça àfaire ? Ce qui me vire le plus àl’envers, il gueulait, c’est ce que ça révèle au sujet de l’auteur de ce geste. L’ostie d’enfant de chienne de tabarnac ! Ma te dire une affaire. Mon chum a toujours une affaire àte dire. Un nobody comme toé, ça mérite même pas de vivre.

La phrase résonne encore dans ma tête. J’ai que ça àfaire de l’entendre résonner. Dans ma prison. Yenque ça. Essayer de comprendre. Cette ostie d’histoire àmarde, comme tu disais. C’est àtoi que je parle. Si toé t’es trop bouché pour lire ce que j’écris, ou plus làpour m’entendre, d’autres peut-être m’aideront. A décortiquer mon crâne. C’est full facile. Si tu veux bien arrêter de gueuler. Contre tes voisins, méchante gang de malades. Contre l’ostie de gigon qui regardait passer les filles. Courir la galipotte, c’est pas ton truc. Toi tu poursuis d’autres fantômes. Ta gang d’innocents, et le gros chien laite pour lui en calicer toute une. J’vas y en calicer toute une sur la gueule tu gueulais. Su’a gyeule. S’a yeule. Au gros porc qui a déposé la trappe àsouris pis collé ce message.

« Le problème a commencé en 1755.  »

Pour moi il a commencé bien avant. Le jour où je suis né. A partir de ce moment jusqu’àmaintenant, j’ai toujours été maudit. Simplement parce que je suis né sans nombril. Je me pointe, on rit. Du coup j’ai peur. Je sens que si ça recommence je vais sauter une coche et je mine ma relation. Tu sais ce que ça veut dire. Comment c’est quand on perd les pédales et qu’on crie pour rien. Comme je fais en ce moment. Parce que tu me comprends pas. Ou que tu regardes ailleurs. Vers la Bretagne. On a l’impression que si ça continue on pourrait virer fou. On veut plus aller àl’école. L’école est un enfer pour ceux qui sont nés sans nombril. Mais le jour de l’examen est arrivé. Un examen d’une grande importance. Un qui en avait assez de téter les profs a pris mes notes passables pour m’en mettre des minables. Les siennes. A cause de toi, méchant tawoin, j’ai loupé mon entrée àl’université. Mais toi non plus d’ailleurs. T’as pas pu y entrer. En ce temps-làl’université acceptait pas les défigurés.

Cependant Angélique vole vers le Canada. Et moi je me fais mon film. Je pelletais mes nuages et je saurais bien assez vite que c’est une ostie d’ marde blanche. Pas de la neigette. J’avais pas besoin que tu me l’apprennes. Que tu me rappelles tout le temps que je suis un badlucké. Parce que je suis né sans nombril. Chez moi dans mon village indien, on dit que ce sont les sorciers. Les sorciers qui ont pas de nombril. Tu crois ça, mec ?

T’as vécu cinq ans avec un sorcier et tu l’as pas su. T’auras pas su la chance que t’avais de vivre avec un sorcier aux si grands pouvoirs. Qui était pas un fils de chienne comme celui après qui tu gueulais. Lui et sa gang de fils de putes. Je suis pas le fils de ma mère, je suis pas né de mère, ça tu l’auras jamais su, crisse de gros épais. Tu seras toujours le plus con et épais d’icitte jusqu’àTerre-Neuve. A tourner autour de ton gros crisse de nombril dans ton gros char. A gueuler contre tes osties de voisins. Maudit crisse de mangeux d’marde. Je te crisse mon poing su’a gyeule, c’est-tu clair ? C’est-tu clair ça ? Su ton ostie de grosse face graisseuse. Su leurs p’tites faces malcommodes. A ta gang de malades. Chu crissement écoeuré d’eux autres, il disait. Des crisses de faces d’hypocrites.

Je pouvais pas lui donner tort. Ni l’empêcher de gueuler. Je lui aurais fait sa fête àce cave-là, je l’aurais frappé en crime. Il était prêt àdébarquer chez lui. Ac un gun ! Prêt àlui calicer une balle entre les deux yeux s’il recommençait. Et il a recommencé. C’était un leurre àfourmis. Et toujours avec ce message en anglais, des fois qu’on aurait pas compris. Mon chum a déclaré ça àL’Acadie nouvelle. Pis, le journaliste parti, il avait plus qu’une idée en tête, aller chez ce maudit crisse de gros laite de tabarnac pour lui dire ce qu’il pensait. Ac un gun ! Pour terminer le boulot, ils disaient là-bas, de l’autre côté de la rivière. Au moment d’attaquer pour la deuxième fois l’Irak. Mon chum est rendu con. C’est lui qui ira. Qui finira le boulot. Il le dit. Il gueule. A ta place, j’me calicerais ben une balle entre les deux yeux tant qu’àvivre laite pis dégueulasse comme toé.

Je suis pas violent, mais je veux savoir si je pourrais àmon tour sauter une coche, je risque : Anyway, le coup sur ce maudit crisse de mangeux d’marde, c’est pas ce que j’appelle sauter sa coche. De quoi tu te mêles, toé, il gueule, crosse-toi pis continue àfaire ton crisse d’innocent. Tu veux passer pour un toffe mais t’es juste un ostie de trou de cul. Quand l’docteur t’a vu sortir de la plote àta mère, y a voulu tarentrer ddans tellement t’étais laite. J’ai pas de mère, j’ai répondu. Pis j’ai tiré. J’ai vidé mon gun pis je suis parti.

Maintenant je suis seul. Avec mes écrits. Des écrits que je garoche comme ça, parce que mon chien est mort. Mon chien est mort, je sais bien. Je l’ai toujours su. Pourtant j’attends l’événement, la Scène majeure. Que le bon grand Dieu des indiens vienne me chercher. Lui au moins je suis sà»r qu’il me comprendra. Qu’il me reconnaîtra. Dieu est pas un goret. Il a pas de nombril.

Ce petit renflement, tu vois, la bosse au centre du bouclier. Au centre du monde. Le monde a pas de centre et c’est moi. Tu vois ? C’est-tu clair ? C’est-tu clair ça ? C’est moé. Hey la belle...ton cell va me faire sauter une coche. Parle àta sÅ“ur. Elle t’a fait beaucoup de mal et ça se reflète sur ta mère. Réponds. On jase un peu ? Ma te dire une affaire. Pis après ma te raccrocher au nez. Ciboire, c’est-tu une job àtemps plein que j’ai là ? Ah ! le crosseur va être en crisse encore. Tu es rien qu’un sacrament de fatigant qui empeste la mort. Ah pis j’me ferme la yeule.

II

Déjàil me tombait sur les nerfs. Les fois où il était tanné que j’écrive. Des gens qui s’ouvrent la trappe seulement pour chialer après n’importe quoi et sans raison. Il me parlait comme Adrissa Thériault, de Caraquet. Quand elle avait gagné. Un lot de je sais plus combien de dollars grâce àun billet Crossword de la loterie Gagnez àla Grattouille. C’était pas une raison. Pour me regarder de haut pis aussi mes écrits. Des écrits que je garoche pour essayer de comprendre. Ce qu’elle voulait dire avec ses chiens morts. Ton chien est mort ! Ton chien est mort !

Moi je comprenais pas, je venais d’arriver. Du Poitou. D’autres avaient ouvert la route. Suivi. Beaucoup. Y a même icitte des gens qui s’appellent Saint-Onge. En deux mots. Un de Soulignonne près de Saint-Porchaire. Venu après la guerre. Il m’a pas dit laquelle. Il était porteur de hottes. Il parlait comme Guérineau, un vieux de mon village. Moi je débarquais juste. Je voulais tenter ma chance. Moi aussi. Je savais pas. Pas encore. Que j’étais un badlucké, ils disent àMontréal où j’ai débarqué. J’avais pas perdu tous mes espoirs. L’envie de me battre. De corriger le maudit lâche qui avait fait ça.

J’vas te rentrer la tête dans la machine àcoke ! Avec ton skate ! A celui qui avait tué mon gentil labrador ou golden retriever. Tu t’imagines recevant un coup de skate sur la gueule, je demandais àmon chum. Sur la gueule, tu imagines ? Su’a gyeule, il imaginait, s’a yeule. Y a-tu des chiens plus pacifiques que ça il imaginait. Des voleurs entrent dans la maison et ils tiennent la porte pendant que les voleurs sortent le stock. L’ostie de calice de crisse d’enfant de chienne ! Je lui aurais fait sa fête moé ! A lui et àsa gang de bons àrien ! Mon chum offre du jeu physique et saute sa coche de temps en temps.

Mais jamais la clôture. Mon chum est ce qu’on appelle en français un mec fidèle. Moi j’ai po besoin de personne pour vivre ma p’tite vie laite, il m’a dit tout de suite. Chez Jean Coutu, 131, rue de l’Eglise àEdmundston NB. Où tout le monde se garoche pour magasiner. Pour oublier le Moulin Fraser. Le coeur de la cité, son gros tchoeur qui fume. Tout le temps. A cette ville où y a plus d’avion qui s’arrête, plus de train, où tu vois assez de tawoins qui te coupent avec ton trailer de 22 pieds comme si tu pouvais arrêter ça sur un dix cenne et comme si ça se contrôlerait comme un char avec une suspension rabaissée de mongol. Un épais te coupe et toi tu te plantes, ta remorque conçue pour le transport de billes de bois coupées ou de bois àpâte swingue, t’accroches une gang, et c’est l’accident. La Scène majeure.

En attendant, la pipe conduit la pâte àpapier directement aux Etats pour transformation. Et nous on va chez Jean Coutu. Moi chercher quitte àprendre n’importe quelle jobine au début et peut-être après m’ouvrir un commerce. Lui quelqu’un pour lui booster son ego (il avait écrit égaux !) ou àrencontrer personne. Avez-vous essayé de sortir avec les cheveux tout dérinchés ? Les raser coco ? Ne pas vous brosser les dents ? Porter votre T-Shirt « J’aime mon chum !  » ? Essayer un pantalon qui vous va pas pis demander : « Ca me fait-tu un gros cul c’est pantalon-là ?  » Aucun ne va venir vous y achaller. C’est làpourtant que vous vous rencontrez. Que vous deviez. Chez Jean Coutu où on trouve de tout...même un ami. C’était écrit. Celui qui avait pas besoin de personne m’a suivi.

A Moncton, dans ce complexe où nous habitons depuis un couple d’années. Entre le gars d’en haut qui marche sur les talons en sautant et la voisine d’en bas qui pioche dans le plafond quand j’échappe un verre, alors qu’elle écoute sa musique. C’est-tu dur d’imaginer qu’on veut pas l’entendre ta crisse de musique ? Voilàce qu’il lui répond. Tanné d’entendre toujours la même chanson, toujours le même maudit beat fatigant.

Tu attends que le monde aille se coucher à22h pour que tout le bloc sache que tu l’aimes ta chanson plate ! Pis tabarnac qu’y a du monde qui ont aucun sentiment sur sta calice de planète-là ! Au maillet àcôté qui parle fort toute la journée et qui se pense tout seul. A moé ! Ma te dire une affaire. Je l’écoute. Je sais qu’il va me reparler de mon chien.

De mon gentil labrador ou golden retriever qui est mort. Ca t’aurait pas offusqué tant que ça si ça avait été un animal laite genre un rat ou une mouette. Un cochon plein d’marde dans son enclos. Mon chum change pas, c’est son humeur, c’est le temps, il me fait les quatre saisons en un jour, en une heure, et moi je cherche ac mon doigt la Bretagne sur la carte.

Pourquoi la Bretagne ? Parce que tu m’as donné faim ac ton ostie d’histoire àmarde. J’ai faim pour une bonne sandwich chien tapé-moutarde. C’est du pâté de porc. Moi : j’espère sincère qu’y aura pas trop de monde comme toi sur le jeu, et je te jure que j’étais pas mignonne. Je l’étais plus du tout. C’était ma montée de lait de la semaine. Pas plus d’une par semaine. Au début.

Maintenant je suis en crisse, il dit, en maudit : toujours en colère. Le mal de bloc, la tête qui résonne comme une prison. La porte qui claque met des heures àse refermer. Le chariot qui grince creuse dans ta chair des sillons profonds. Les gamelles s’entrechoquent, ou les voix. Ca crie. Ton chien est mort ! Ton chien est mort ! J’entends. Je reconnais. Adrissa Thériault, de Caraquet. Pis mon chum quand il gueule. Parce que sept fois on est venu rappeler àceux qui l’ont pas oubliée l’année de la Déportation des Acadiens. Avec trappe àsouris, leurre àfourmis et message collé sur la porte.

Sept fois on est venu dire àdes résidents francophones de ce complexe àMoncton que le boulot commencé en 1755, ce qu’ils appellent le Grand Dérangement, quelqu’un pourrait peut-être songer àle finir. Ben làsaintsifri ce quelqu’un ça pourrait être lui. Le saintsifri de tawoin. Le beep de tawoin en char noir qui nous collait dans le cul. Mon chum et moi on roule normalement. Quand je dis qu’il nous colle, c’est qu’avoir eu un passager en arrière, il aurait pu toucher au hood du char ! Il nous suit de même pour un bon bout fake on décide de clancher pour se l’enlever du cul, finalement c’était un char fantôme qui nous collait dans le cul et quand on a décidé de clancher il est revenu pour nous donner un ticket de vitesse. Trouvez l’erreur.

© Denis Montebello, juin 2006

25 juin 2006
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