Écrire en ligne droite

De ma bibliothèque j’aime beaucoup lire trois écrivains dont le nom commence par un W, Cécile Wajsbrot, Christa Wolf, Virginia Woolf, j’aime aussi beaucoup lire W malgré que ce livre de l’étagère des P décrit une île qui me terrifie.

Un dimanche de sa vie, Raymond Queneau a écrit qu’on a beaucoup besoin contre le Pacifique, de barrages, histoire que j’aime lire autant que celle du marin de Gibraltar qui n’est pas celui du film où Jeanne Moreau chante Each man kills the thing he loves ce qui aurait été possible, puisque Oscar Wilde qui fait partie des écrivains de ma bibliothèque dont le nom commence par un W et que j’aime beaucoup lire a écrit cette phrase en 1896 mais c’est à Carlos d’Alessio que Marguerite Duras a demandé de composer la musique de son film plutôt qu’à Peer Raben, lequel dix ans plus tard en a composé pour Rainer Werner Fassbinder, et la voix de Jeanne Moreau me fend le cœur aussi bien que celle de Delphine Seyrig.

Quantité de dérivations se présentent depuis que j’ai commencé à écrire un texte sur les W de ma bibliothèque, tant de déplis à partir d’une seule lettre, et il y en a probablement autant que dans l’alphabet, vingt-six, constatation qui s’accorde avec l’image qui me vient fréquemment quand j’écris ou lis, une ligne droite parcourt une surface plane, la ligne droite est le texte que j’écris ou lis et des phrases duquel des flèches jaillissent à la perpendiculaire, chacune souhaitant avec ardeur devenir une ligne droite cependant que je m’obstine dans le texte.

J’en reviens donc au W et à Fassbinder.

Même à considérer le W initial de son deuxième prénom, il est difficile de le classer dans les écrivains de ma bibliothèque dont le nom commence par un W et que j’aime beaucoup lire, il y appartient pourtant, malgré le F plutôt que le W et malgré qu’il était cinéaste plutôt qu’écrivain, à double titre, par Oscar Wilde et par Effi Briest, j’aime citer son nom quand je fais la liste de ceux qui m’aident à écrire, ce texte aurait pu commencer sans tenir compte des lettres de l’alphabet, liste de ceux qui m’aident à écrire c’est-à-dire à vivre, je n’avais pas imaginé que certains F sont des W et certains cinéastes des écrivains, je l’apprends en l’écrivant mais je ne recommencerai pas à écrire ce texte, je veux l’écrire au fur et à mesure, selon sa ligne droite, comme la mouche traversant le balcon de qui je ne peux exiger, elle qui se dirige vers le chèvrefeuille, de rebrousser chemin et réapparaître du côté des amaryllis plutôt que des œillets-de-poète, le chèvrefeuille de ce texte je ne le connais pas encore, la mouche avance dans sa direction à elle, ce texte aussi, sa direction à lui, je m’obstine dans cette idée d’un texte sans autre direction que sa ligne droite, ne pas rebrousser chemin afin de récrire est la consigne que je me suis donnée quand j’ai commencé, avancer dans la ligne droite du texte comme autrefois sur la poutre dans la salle de gymnastique qui avait été une chapelle, comme le funambule de cet écrivain de ma bibliothèque que j’aime beaucoup lire et dont le nom commence par un G, avancer sans dériver ni jaillir comme une flèche ardente, sans tomber ni m’écraser au sol, sans la mort insecte en dépli perpendiculaire.

 

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Les Petits récits d’écrire et de penser ont été relus en juin 2011 pour les éditions publie.net où ils figurent au catalogue sous le même titre.

13 novembre 2005
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