Elles aussi : atelier d’écouture
ELLES AUSSI : ATELIERS D’ÉCOUTURE
Depuis plusieurs années, l’association Elles Aussi propose aux femmes atteintes d’un cancer de participer gratuitement à un atelier couture dans ses locaux du Mont-Mesly. Depuis le début de l’année, Elles aussi accueille l’écrivain Bruno Doucey pour des temps d’échanges et d’écriture. Quand la poésie se mêle à l’écoute et à la couture, l’atelier d’écriture devient un atelier d’écouture.
Cinq textes contre les petites violences quotidiennes
1
Violent silence
Deux ans de vie
Une douleur claque sur ta joue
Éparpille les larmes d’innocence
Tu obéis sans comprendre
Ton amour bafoué
Solitude de ton enfance
Triste constat de violence banalisée.
Marie Klempka
2
Silences
Entrée de la famille, demande du père
Choix proposés à la mère et au fils
Pas de droit à la parole
Regards soumis tournés vers le mari
Il impose son choix à leur place
La soumission dans toute sa splendeur
Difficulté de servir dans ces conditions
Juste entendre et constater
L’énervement monte en moi
Le silence est terrible, celui de la mère, du fils
Et le mien craignant un retour verbal déplaisant
Trente minutes qui ont paru une éternité pour cette femme
Et dont je n’ai pu écourter la souffrance intérieure.
Évelyne Gerbaud
3
Sans gêne
Elle a besoin de dormir
Pas possible
Trop de bruits
La moto résonne partout
Espoir que ça change
Rien
Et rien d’autre qu’un espoir.
Salwa
4
Sur la route
Regarde la voiture grise sur la route à droite
Mince un accident !
Pauvre fille, sa tête a touché le pare-brise
Impossible de faire quelque chose :
La voie de gauche avance.
C’est terrible
Une image gravée dans la mémoire.
Catherine Kondracki
5
Qui es-tu ?
Yves-Luce, prénom d’une petite femme martiniquaise qui avait suscité un malentendu ainsi qu’une gêne pour l’interpeler : « Fellous », « Bifidus », « Phallus », « Eucalyptus »… Elle a eu droit à toutes les déformations de son prénom. Elle était là, mais ailleurs, entre le rire… et les larmes. Yves-Luce était le centre d’un fou rire général.
Djamila Kaïci
Elles aussi, toutes ensemble
Pour Brigitte
Vivre ensemble, c’est aider, écouter et soutenir, jeunes et moins jeunes, de tous horizons.
Un but pour la société.
Vivre avec la joie
Écouter pour communiquer car lorsque la communication est présente nous partageons, apprécions pour aider les personnes qui en ont besoin.
« Elles aussi » apporte de la solidarité.
La porte est ouverte au partage.
Quand je rentre à l’intérieur, je découvre la joie, l’amitié et le partage d’apprendre.
Et quand je sors, les mots, les paroles, les rires me restent dans la tête.
Vivre avec
Vivre après le combat
Trouver, retrouver un but
Apprendre de femmes jeunes et moins jeunes venues de tous les pays
Rire et soutenir l’autre dans le courage et dans la patience
Nouer d’autres liens que celui de la maladie
Trouver l’écoute et l’aide nécessaire pour renaître
Écoute et empathie pour connaître l’autre
Solidarité et entraide pour garder la foi
Amitié révélée et révélation intérieure
Un refuge pour partager et communiquer
Des échanges pour mieux vivre ensemble
Un soutien dans les combats de tous les jours
Une ouverture vers la liberté
« Elles aussi », dans nos cœurs et dans le vôtre.
Grâce à l’association « Elles aussi », et surtout à Aïcha, qui m’a boostée vers les portes d’ouverture au monde réel. Auparavant, je vivais isolée dans mes rêves. On est toujours bien, accueilli, avec café et chaleur.
Texte écrit par Kadidja, Sarah, Catherine, Marie et Évelyne, Djamila
Sept poèmes de Marie Klempka
Dimanche
De colère résonne
Comme cloche fêlée
Au son du vent frileux
Chien décharné
Sur la route des mots
Du dimanche
Jamais je ne veux être.
Déferlante
Une déferlante s’est abattue
Il y a mille ans
Et c’était hier
L’océan de la vie t’a englouti
Comme la baleine ripaille du krill
Parfois
Je te reconnais
Dans les couleurs acryliques de paysages inconnus
D’autres fois
Dans les yeux d’un poète
Qu’il m’est difficile de porter ces mille années
Affaissant mes épaules
Ralentissant mes pas
Ton visage immobilisé par le temps
Jaunit dans un coin de mon cœur
Passe comme la photo d’antan
La perte fait toujours ses ravages
Et l’océan de la vie se rappelle à moi
En salant l’eau qui coule de mes yeux
Qu’importe
D’un revers de la main je chasse le passé
Pour trouver à nouveau devant ma porte
L’inexorable envie de vivre
Que tu m’as laissée
Pour des milliers d’années.
Vallée blanche
La montagne a tout avalé
Pulvérisé les souvenirs
Anéanti les lendemains
La montagne sera toujours aussi belle
Un champ d’edelweiss se rappellera
Et les vents chanteront à jamais
Vos vies inachevées.
Cœur en villégiature
Le cœur parti en villégiature
Locataire des abîmes sans fond
Les mots ont fermé leurs cartables
Au triste son du thérémine
A couvert les myosotis
Que du bleu azur
Mes yeux ripaillent.
Printemps
Le vent traîne le pas
Et givre au bord du jour
La branche du pommier
Torturée comme une âme
Elle croule de mille pétales
Encore toutes chiffonnées.
L’abeille fébrile butine
Une palette imaginaire
Pendant que la mésange chaparde
Le détail d’un champ
Aux abords des fenêtres emmurées
Tu chasses le rideau de pluie
Qui nourrit tes châteaux de bois
Et détruit les toiles de dentelle
Tes valises foisonnent
De mille nouveautés
Chrysalides et bourgeons dorés
Le soleil gravit d’un pied ou deux
L’échelle de la belle saison
Et l’hiver tourne les talons
Un pardessus sur les épaules.
Jour d’été
Au pas de la porte
Je questionne la pierre usée
Lilas et bouton d’or
Font les yeux doux
Pour attirer sous le chêne
Mon vieux coutume
De laine et de mites
Chaise et toile rabibochées
Me tiennent par la main
Jusqu’au moment
Où la chaleur tombe
Sur mes chaussures
Il est temps
De rapporter l’été
Au fond de la maison.
Mont Saint Michel
Musarde sur les chemins du bocage
Contemple la vie des pierres
Elles pleurent au ciel brouillon
Chantent aux braises ardentes
La brume épaisse que soulève le pas
Porte les traces du ressac
Perdu dans les forêts de genêts
Au loin l’ombre de ta pointe
Transperce le miroir bleu
Encore un instant
Un désert anthracite chaparde l’endroit
Une marée de fourmis
Armée de sceaux de pelles
Envahit tout l’horizon
Creuse les entrailles de Poséidon
Un sourire au bout des lèvres
Elle emporte un trésor iodé
Ta perpétuelle compagne te rejoint
Au son de mille chevaux
Bientôt tu redeviens
Merveille du monde
Caillou au milieu de l’eau.
Marie Klempka, printemps 2015