Henry Tripp & Cully Green & Martin Vise

172 Henry Tripp [Edgar Lee Masters, traduction Général Instin]

La banque avait fait faillite, j’avais perdu mes économies.
J’étais malade du triste jeu de Spoon River
et j’ai décidé de fiche le camp
et d’abandonner ma situation et ma famille.
Mais quand le train de minuit entra en gare,
en sautèrent prestement Cully Green 172b
et Martin Vise, qui se mirent àse battre 172c
pour régler leur vieille rivalité,
balançant leurs poings • les coups résonnaient
comme ceux d’un gourdin.
Il me semblait que Cully prenait le dessus
quand son visage sanglant grimaça un sourire
d’écœurante lâcheté pour se pencher sur Martin
et pleurnicher : « On est de bons amis, Mart,
tu sais que je suis ton pote.  »
Mais un gauche terrible de Martin l’envoya
valdinguer et il s’effondra comme une masse.
On m’a retenu pour témoigner
et j’ai raté mon train et suis resté àSpoon River
pour mener le combat de la vie jusqu’àson terme.
Oh, Cully Green, tu as été mon sauveur —
toi si honteux et humilié toutes ces années,
traînant sans but dans les rues,
cherchant àenvelopper de chiffons ton âme purulente,
toi qui échouas àte battre jusqu’au bout.


172b Cully Green [Eric Darsan]

La peste soit de toi, Martin Vise, 172c
moi qui te prenais pour un ami fidèle !
À battre le dur comme tu disais, à
courir au son du premier train qui passait, à
sauter en marche, dans le dernier wagon.
Tout ça dans l’espoir de quitter Spoon River pour de vrai.
Mais tes semelles étaient moins usées que les miennes,
tes vêtements toujours rapiécés,
en bon chrétien jamais
tu n’aurais partagé ton manteau.
Il fallait toujours • toujours que tu rentres sagement àla maison.
Où la soupe t’attendait, où l’on t’accordait le pardon.
Je t’ai vu, Martin Vise, faire la révérence,
aux notables que tu prétendais haïr.
Et tu faisais semblant de ne pas me reconnaître
quand je faisais la manche àla sortie de la messe, le dimanche.
Alors, quand j’ai aperçu ce vieux grippe-sou d’Henry Tripp 172
traînant tous ses bagages sur le quai
(ce qu’il faut de paquetage àun bourgeois
pour la moindre escapade !)
mon sang n’a fait qu’un tour • et chacune de mes mains,
rassemblées en un poing pour le rouer de coups.
Mais toi, Mart, faux frère, il a fallu que tu t’en mêles,
prouvant que ton amitié allait bien àta classe
par la raclée que tu m’as mise.
Et il a fallu que ce soit Henry Tripp • Henry Tripp !
qui vienne témoigner pour moi devant le juge itinérant 72
• pour moi qui voulais le rosser !
Ainsi rien ne m’aura été épargné dans cette vie :
ni l’injustice des riches
ni leur condescendance.
Soyez maudits àjamais • àjamais braves gens de Spoon River !
Vous et votre descendance !


172c Martin Vise [Eric Darsan]

J’ai toujours voulu viser haut et loin — Bam !
De peur de partir en cloche.
Mal né comme on dit, ou mal conçu, j’ai mal tourné,
fini àl’orphelinat, battu et rançonné.
Jusqu’àce qu’un couple d’artisans de Spoon River me tire de là•
Mes parents adoptifs étaient de braves, mais pauvres gens.
Ils devaient rendre des comptes
au révérend Abner Peet pour pouvoir me garder. 91

Mon père était cordonnier,
ma mère passait son temps
àrapiécer mes vêtements • En retour, en secret,
je volais pour subvenir àmes besoins
en prétendant travailler • Du travail, àSpoon River, il n’y en avait pas assez.
Parfois j’allais dîner
aux frais de riches propriétaires,
au prix de quelque boniment,
sans jamais savoir s’ils étaient dupes de mes histoires ou non,
en me disant qu’un jour j’écrirais tout ça • sous un autre nom.
T’as jamais rien compris, Cully, 172b
trop écouté les syndicats, traîné avec Hod Putt, croisé Willie Metcalf. 1 223
T’en voulais àtout le monde,
même au bon Nig, ce pauvre chien, 13b
fils àpapa ingrat, fugueur, geignard, qui te prenais pour moi • moi
qui te croyais mon ami !
Tu t’es trop pris au jeu, Cully,
fallait bien que ça s’arrête •
avant que je ne tombe aussi.


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25 novembre 2016
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