J’imagine

J’imagine

Idées pour la scène de la découverte du corps.

Je m’imagine le corps du clochard comme un imposant tas informe aux nuances de noir charbon, de marron clair, de sang caillé. Plusieurs épaisseurs de vêtement dont la seule vision inspire des hauts le cœur.
J’imagine qu’il serait allongé sur le ventre afin que, à première vue, on ne distingue pas ce qu’il est. Sa découverte arrive donc crescendo.
J’imagine que les deux protagonistes principaux de l’épisode, c’est-à-dire l’ouvrier et la drag Queen, se lancer la responsabilité comme une patate chaude. Il faut le retourner pour savoir qui il est, s’il est vraiment mort. Comment ?
J’imagine que ce sera la drag Queen qui se lancera et le retournera avec toute la force que la peur et le stress peuvent convoquer. J’imagine que sa première réaction sera de détourner le regard. Elle le retourne en tournant la tête. Progressivement, très lentement, elle ose ouvrir les yeux et les poser sur le pauvre hère.
Je l’imagine, à la vue du corps, ouvrir grand la bouche en aspirant fortement puis la couvrir de ses mains. Les yeux grands écarquillés.
Je l’imagine ensuite, au bord de la crise de nerf, s’agiter, marcher frénétiquement, serrer les poings puis les décontracter. Se toucher le visage. Frénétiquement aussi. S’arrêter. Tenter de se contenir. Puis repartir de plus belle. Avec quelques jurons étouffés par ses chuchotements.
A contrario, j’imagine l’ouvrier complètement interdit, immobile. Il n’a pas bougé depuis le début de l’action. Sa position est toujours la même et son regard est resté fixé sur le corps. Il n’a osé fermer les yeux qu’une fraction de seconde en découvrant l’état du SDF. Puis, il les a ré ouvert.
Car j’imagine que ce corps, qui ne semble plus en être un mais un amas de chairs qui tiendraient encore entre elles grâce aux habits serrés, sa vision serait insoutenable.
J’imagine ses cheveux filasse et gras, collés entre eux et contre son visage. Ils sont fins et son crâne est dégarni. J’imagine son visage noirci par la crasse, légèrement commotionné, enflé au niveau des pommettes. Sa bouche est entre-ouvertes, ses lèvres sont gercées et fissurées. Il lui manquera, vraisemblablement plusieurs dents. Je n’ose m’imaginer ses yeux ouverts, alors je pense qu’ils seront fermés (même lui n’a pas envie de voir ça). Au niveau de sa gorge ; on ne l’a verra pas car elle sera couverte par ce qui semblerait être une écharpe, mais la drag Queen l’aura légèrement poussé pour prendre son pou ; il y aura des coupures épaisses. Ces coupures ne seront pas décrites par leur aspect mais par le ressenti au touché. Comme des plis horizontaux, épais et secs puis un peu plus humide au niveau de la fente. Comme je l’ai dit, son corps est couvert d’habits. Seulement, au niveau de son abdomen perforé, les tissus seront déchirés et laisseront entrevoir une masse informe, gluante et épaisse, se répandre.
Dans l’ensemble, j’imagine que la position de son corps est incongrue. Un peu comme celle des marquages au sol qui indiquent la présence d’un cadavre sur une scène de crime. Comme une sorte de corps désarticulé.
J’imagine qu’il lui manquera une main. Cela pourrait permettre une scène assez cocasse entre nos deux protagonistes qui se mettraient à la chercher désespérément afin de ne pas laisser d’indices derrière eux.
J’imaginerai encore bien des choses plus tard mais pour l’instant, le cadavre de notre SDF en est à cet état de décomposition.

Solweig Cicuto

13 avril 2017
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