Joyce Mansour, Spirales vagabondes (Extraits d’inédits)


A l’occasion de la parution de textes inédits de Joyce Mansour, les Nouvelles éditions Place nous ont confié quelques extraits inédits de textes de Joyce Mansour que l’on retrouve dans Spirales vagabondes.

Présentation


Les textes ici réunis augmentent à peu près de moitié l’œuvre éditée de Joyce Mansour : plus des trois quarts sont totalement inédits, certains sont des variantes d’écrits déjà parus, d’autres encore ont été publiés dans des revues mais oubliés lors de l’édition de ses œuvres complètes. Si, bien sûr, un tel volume de « nouveautés » peut être considéré comme un événement éditorial dans une société droguée à l’inflation et constamment en quête de complétude, l’enjeu et l’intérêt de cette édition sont ailleurs.

Ces inédits ne proviennent pas de quelques cahiers écrits à une certaine époque de la vie de Joyce Mansour, puis oubliés. Au contraire, ils traversent toutes ses écritures, des premiers Cris en 1953 aux derniers Trous noirs de 1986 ; des fulgurances poétiques aux récits en passant par les textes dialogués. Ils sont une autre œuvre complète, ils dédoublent totalement – mais autrement – celle déjà publiée : c’est un labyrinthe parallèle qui offre au lecteur l’épreuve toujours renouvelée de son écriture inapaisable, inachevable ; un labyrinthe répété dans sa différence qui, dans cet écart, nous invite à entrer dans la matrice de sa poésie, nous place au cœur de la fabrique de son écriture.




I.

Extrait de Journal d’hiver


dimanche 11 novembre

Tu m’habites aussi sûrement que les grands arbres noirs encerclent mon vagin d’ombre. J’ai peur du noir. J’ai peur dans le noir. à l’extérieur de la maison nuit et jour des conifères font les cent pas ; vois, ils ne sont plus reconnaissables : déjà des tremblements agitent leurs racines, des nids remplis de gaz gouvernent leurs cheveux fous ; pourquoi n’aurais-je pas peur des arbres ? Tu es si frivole. Autrefois je t’attendais devant les fenêtres aveugles de notre chambre, sachant que tu te dandinais ailleurs sur mille plateaux de cristal de Bohême tel un grand vase vide, une cloche qui ne saurait sonner faute de clitoris dans la gorge. Ta bouche. Je pense à ta bouche et une énorme montagne de lave bouge vers le barrage. Te rappelles-tu le raz-de-marée immobile de la montagne qui se dressait, menaçant, derrière le pointu ?

Il y a une heure (je ne sais plus laquelle) où je ne pense pas à toi. Quatre heures du matin ? L’heure de ma première insomnie. L’heure où les agonisants basculent dans la mort.





II.

(le grand tabou ou les secrets de la forêt qui ne veut plus être vierge)


Vous avez dix-sept ans et du duvet sur le fronton ?

Jetez vos poupées à la poubelle

Adhérez mollement à une bande magnétique

Et jouez plutôt les cobayes

De nos jours les jeunes filles à triple vertu et semelles compensées n’existent heureusement plus que dans l’œil fardé de leurs mères. Heureusement, dis-je, car qui veut échanger hamster doré contre flûte traversière ?





III.

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Tremper le pinceau dans une nuit de Londres

étaler du sperme au couteau

Sur l’écran d’un rhume de cerveau

Avaler la morve du pubis rageur

Lécher le verger au sol herbu et mou

Série d’eaux-fortes sur crêpe de Chine.





IV.

(fruits mères)


Les œufs de l’arbre poussent à l’envers

Fruits érotiques fruits blets pépins stériles

Fruits de la fatigue farineuse

Du lendemain matin

Fruits pour obèses sans dents de lait

Figues utérines

Croupes à croquer

Entrailles humides exhibées sur les marchés

Méthodiques quartiers de plaisir

Orange

Un mort vous rend visite

Son pénis végétal amoureusement déshabillé

Par un singe

Il dit : « La pomme d’Adam dans la gorge du pendu

Voilà le fruit ultime. »


12 décembre 2018
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