La littérature est-elle soluble dans l’électricité ? (préface)


Ce livre est la trace d’une Résidence qui a eu lieu d’avril 2014 à janvier 2015, auprès des agents de la CCAS, en partenariat avec le Conseil Régional d’Ile-de-France. La politique culturelle de ce comité d’entreprise est unique en France : priorité a toujours été donnée au rayonnement créatif des salariés, dans une vision de l’entreprise qui n’est pas seulement un espace de rendement, mais aussi un véhicule d’imaginaire et de réflexion. Chaque année, les Centres de vacances enfants et adultes accueillent de nombreux artistes de qualité dans le domaine des arts plastiques, du spectacle vivant, de la lecture.

Auteure intervenante à la CCAS pendant plusieurs années, mon engagement s’est prolongé naturellement avec cette Résidence qui m’a permis d’aller plus loin, d’interroger l’électricité comme un médium créatif, avec les outils de l’écriture. Ma pratique d’atelier d’écriture depuis une vingtaine d’années auprès d’un public divers, m’a montré l’importance de la créativité pour la construction de soi, le développement du jugement critique.

A travers le blog PARLE des pratiques amateurs, j’ai proposé aux bénéficiaires des commentaires sur l’idée de l’énergie et de l’électricité : technique, esthétique, quotidien, poétique… Les participants ont répondu en proposant à leur tour des pistes de réflexion critiques, ironiques, militantes parfois, sous forme de poèmes et d’aphorismes. Les textes se déroulent sans ni début ni fin, dans une chaîne d’expression joyeuse, un mot appelle un autre mot, un rythme différent, dans un élan viral.



J’ai interrogé le vocabulaire de l’électricité comme un concept ludique, volatile, tantôt relié à la science, tantôt à l’art, à la littérature, à la spiritualité. De l’époque d’Edison aux nouvelles technologies, le vocabulaire n’a pas beaucoup changé : Réseau désignait au XIXème siècle le réseau ferroviaire, puis le téléphone et l’électricité, biens et usages utiles à la collectivité. Le progrès industriel fut parallèle à un bouleversement sans précédent dans le domaine des arts visuels et de la littérature (La Gare St Lazare de Monet, L’entrée du train en gare de la Ciotat de Louis Lumière). La science a transformé la manière de voir le monde, de peindre un paysage, une machine, de regarder une œuvre, de construire un personnage. En 1937, La Fée Electricité commandée à Dufy par la Compagnie parisienne de distribution d’électricité pour le pavillon de l’Exposition internationale des arts et technique, illustre l’inventivité de l’esprit humain à travers les grandes figures de la science (philosophes, physiciens, artistes).


Ce petit livre collectif tente de répondre aux questions suivantes :

Comment traduire l’électricité en littérature ? Est-elle inexorablement réservée aux chercheurs, aux physiciens, aux ingénieurs ? Peut-on être autre chose qu’un usager qui paie ses factures, un citoyen qui allume la lumière en rentrant le soir ?


Je tente une préface non explosive, sans zone de protection ni combinaison en amiante, réduite à une fonction éclairante, radioactive, transformiste… Désigner une phrase, une proposition, la renverser, en faire un poème détaché de toute contrainte. Choisir quelques mots, Centrale, Nucléaire, à connotation carcérale, sociétale, familière (on dit couramment une famille nucléaire). Comment contaminer le vocabulaire de la science, dans un atelier d’écriture, une solidarité active et rayonnante, sans effets secondaires néfastes, ni obligation de rimes ?


Comment mettre ensemble des choses incompatibles ?

L’électricité et la littérature. La lumière et le corps. La religion et l’athéisme. Le concret et l’abstrait, ce qu’on touche et ce qu’on pense.

J’ai touché quelque chose ! signifie : j’ai trouvé une idée, quand le mot Eureka ! flotte sur la tête des savants de bande dessinée.

Dans l’univers de la fiction, la lumière est sur mon personnage quand celui-ci est amical, distrait, attachant (Tournesol, Géo Trouvetout). Entré et sorti de sa bulle, il crée une ambiance.

Comme la lumière oblique du jour finissant, démocratique : tout le monde peut en prendre, guetter le moment de l’après-midi pour sortir, c’est gratuit. Oublier sa facture d’électricité est payant (lumière de la dette, de la culpabilité, des gardes à vue, des religions monothéistes).


À l’échelle de l’histoire, une pensée éclairée tendra toujours vers le progrès, le mieux être, la compréhension des personnes et des situations. Les Lumières furent au XVIIIème siècle une tentative de mettre le savoir à la portée de tous, de dépasser l’obscurantisme, la superstition des Églises et des États. De la révolution industrielle aux diodes électroluminescentes, de la physique à l’astrophysique, de l’énergie noire aux halos fascinants des tableaux de Georges de La Tour, de l’ange biblique aux ampoules aveuglantes de l’art contemporain, il existe un moyen terme, un couvre-feu hallucinant : l’invention, l’audace, l’étonnement.


Véronique Pittolo





Remerciements aux participants et bénéficiaires de la CCAS : Dorothée, Françoise, Vanessa, Paul, Eric, Pascale, Lionel, Kiwi, Hilario, Patricia, Aurélie, Christian, Nicolas, Patrick, Yolande, Marcel, Christophe, Victor.

A Françoise Gouyou-Beauchamps pour sa collaboration énergétique aux ateliers d’écriture des restaurants de Tolbiac et de St Ambroise, que nous avons animés ensemble.


A Sigurdur Arni Sigurdsson, pour l’accord gracieux de la reproduction de ses œuvres.

19 janvier 2015
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