Les ateliers d’écriture me fichent la trouille

par Olivier Brunhes dans le cadre du dossier transversal ateliers d’écriture en résidence


Les ateliers d’écriture me fichent la trouille.

J’ai surtout peur de m’ennuyer. Vraiment. Peur de devenir un « travailleur social » de l’écrit, un récolteur de doléances, un mauvais pansement pour des plaies vives, un animateur de quartier incompétent… La seule chose que je sais faire n’est pas très utile, au fond. Mon travail, c’est d’inventer des histoires, Il était une fois… des trucs pas vrais, de passer de l’autre côté du miroir, comme dans les pièces de théâtre ou dans les films, pour de la fausse… Je ne suis pas sûr que ça serve à grand-chose pour le commun du quotidien. Seulement voilà, je ne sais pas faire autre chose.

Alors je le dis aux gens : je ne sais faire que ça, inventer des fictions, le reste m’ennuie…

Souvent les personnes comprennent bien cet aspect : on invente des histoires pour échapper à la chape de plomb du quotidien.


La plupart du temps, je commence par lire des extraits de ce que je fais –en ce moment des extraits de La nuit du chien, mon roman. Parce que les mots, c’est comme la cuisine, il faut gouter pour savoir si on aime ou pas.

Mettre son plat sur la table. Une mise de départ, une blinde diraient les joueurs de poker.

Parler est une chose, écouter les mots écrits en est une autre.

Ensuite, c’est à moi d’entendre les personnes. Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ?

Au bout d’un moment, on commence à se connaître.

À se raconter des histoires, à rigoler.

À délirer, diraient les jeunes.

On commence à bien aimer se voir.


À mon sens, le plaisir est au cœur de ce genre de démarche.

Le plus important, finalement, c’est la qualité des gâteaux et des jus de fruits, du café, du thé. Leur gratuité. Rapidement, l’atelier devient un rendez-vous culinaire. Faut-gouter disais-je, aimer les plats. Les gens font des gâteaux. Je fais les miens. On paie son coup. On parle.

Entre les mots, les histoires et les pâtisseries, on arrive à se découvrir.

Si on se connait pas, comment espérer se sentir libre d’inventer ?


Pour cette raison, à mes yeux, il est assez aberrant d’écrire entre les sonneries des heures scolaires (lorsque je travaille avec des élèves on se délocalise, on se fait la belle, on sèche)… Parce qu’écrire, c’est être libre. Bien sûr, ce que je dis ne vaut que pour moi. Des fois on discute de ça.

La même chose en prison. Écrire c’est s’évader. Alors on essaie de s’abstraire de la souffrance ambiante pour s’échapper.


En réalité, je n’anime pas d’ateliers d’écriture. Je viens écrire avec les gens. Des petits trucs. Alors, ils s’y mettent aussi et pof, ça claque ! On part sur la lune ou bien dans les étoiles. On se lit nos histoires respectives.


On se fout de l’orthographe et du bien écrire.

De ce qu’on raconte dans les manuels sur l’écriture…

Souvent, les personnes voudraient écrire chefs d’œuvres, en toute simplicité.

Ils ont raison. Les auteurs aussi veulent ça.

Quitte à écrire, une fois dans sa vie, autant que ce soit historique, non ?


Je demande généralement aux partenaires institutionnels qui font appel à mes services, que nous ayons la possibilité de publier. Comme au football : si on s’entraîne, c’est pour disputer des matchs, sinon à quoi ça sert ?

Comme ça, on pourra donner nos chefs d’œuvres à d’autres.


Par bonheur, je n’ai pas été formé (déformé) aux ateliers. Il ne manquerait plus que ça. Des fabriques, des modèles, des imitations, des standards… Pourquoi pas des diplômes ? Ça sent un peu l’imposture, les méthodes pour écrire. Je ne suis pas un pédagogue. Celui qui apprend doit savoir et, si je regarde de près ce que je fais, je me rends compte, à chaque nouveau livre, que je ne sais pas écrire. Que je ne sais rien. J’en sais de moins en moins d’ailleurs. Je suis condamné à essayer, à réinventer à chaque fois.


J’ai remarqué que parfois les gens écrivent des choses somptueuses. Quelques phrases. Les ennuis qu’ils n’ont pas, eux, sont ceux de l’écrivain qui doit produire des centaines de pages…


Voilà ce que je fabrique avec les gens.

Depuis pas mal de temps (j’ai commencé à Clichy-sous-Bois après les émeutes de 2005).

Au début, j’ai peur de m’emmerder.

Parce que si je m’ennuie, moi, les autres risquent de s’ennuyer aussi.

A la fin, restent des instants partagés pour sortir des cadres qui nous enferment.


Et puis, tout ce que je dis là est un peu faux, puisque la prochaine fois ce sera encore un autre voyage. Une nouvelle rencontre.


« Quand j’étais petit, je suis tombé amoureux du feu. Chez moi, il y avait un rideau de paille Antillais. Je l’ai entendu m’appeler, me convoiter, me dire « Allume-moi, je veux brûler ». Il me fixait. Son appel, c’était mon premier rendez-vous d’amour. Lorsque le rideau a brûlé, j’ai éprouvé un grand plaisir. C’était le commencement. Depuis, j’ai brûlé beaucoup, beaucoup de choses. J’ai surtout brûlé ma vie. Certains ont dit que j’étais fou. J’étais juste passionné. »

(Paroles du dedans, texte écrit en prison qui sera joué à l’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise les 10 et 12 décembre 2015, fruit de mes ateliers dans la prison d’Osny)


22 mai 2015
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