« Les enfants, votre grand-père est parti rejoindre votre grand-mère au ciel. »

Boussy-Saint-Antoine, rue Jean Jaurès, le salon. Âge : 10 ans.
Noël venait de passer, le sapin était encore dans le salon. Il était surchargé de guirlandes et de boules, l’étoile qui régnait tout en haut tombait souvent, il fallait alors la remettre en place. Je me souviens que je la contemplais avec admiration.
Mon frère s’amusait avec les guirlandes, il faisait l’idiot comme à son habitude, qu’il était bête… Cet appartement n’était pas bien grand, il était même minuscule pour tout dire. Notre salon était comme tous les autres, il avait une table, une télé, un canapé… je n’ai rien à dire dessus, ni même sur le reste. Je veux oublier. C’est le seul souvenir qu’il me reste, nous étions en décembre, le 31 plus précisément. Il faisait beau, ma mère avait dû partir précipitamment, mon père nous surveillait, il préparait à manger dans l’étroite cuisine. Quant au reste… Et bien il ne reste plus rien. Le téléphone avait sonné, mon père nous avait appelés. Nous sommes alors venus le voir, il a tendu les bras, nous a étreints avec cette étreinte paternelle que nous ne connaissions pas, puis il a dit : « Les enfants, votre grand-père est parti rejoindre votre grand-mère au ciel. »
Je pleurais alors dans les bras de mon prétendu père, alors que le mien venait de rendre son dernier soupir.

C.

« Le mien », dans le texte, a pour sens, « le vrai mien », « mon père de cœur ».

Sur TF1, les présentateurs du Best of de l’année n’arrêtent pas de dire qu’ils sont contents, qu’ils passent une chouette soirée, ils portent des smokings et des robes à paillettes. Même avec le son de la télé poussé plus fort que d’habitude, on entend les voisins du dessus. Ils rigolent, ils font du bruit quand ils marchent avec leurs talons. Moi, je m’en fiche que ce soit le réveillon du nouvel an. La seule chose que j’attends, c’est l’arrivée de Papa Robert. Je ne l’ai pas revu depuis que mon père nous a repris, Patrick et moi. Nous avons tous les deux tellement hâte de le retrouver que nous ne nous sommes même pas chamaillés aujourd’hui.
— Quelle heure est-il ?
C’est la huitième fois que Patrick me demande l’heure. Il est en train de dessiner Papa Robert dans son jardin, avec la cabane que nous avons construite dans l’arbre. Je crois que c’est la dernière fois que nous avons été heureux.
Quand nous entendons mon père ouvrir la porte, nous sursautons tous les deux : Il arrive !, crie Patrick. Ou bien c’est moi. Je cours à leur rencontre, notre père est au téléphone, comme d’habitude. Mais il est seul. Il parle d’un enterrement, je le tire par la manche, il raccroche :
— Il est où, Papa Robert ?
Notre père soupire encore, comme si je l’ennuyais avec mes questions — je sais que je l’ennuie toujours avec mes questions. Son téléphone sonne à nouveau. Avant de décrocher, il nous dit :
— Les enfants, votre grand-père est parti rejoindre votre grand-mère au ciel.
Je pense alors que c’est vraiment ça, la dernière fois que nous avons été heureux c’était chez Papa Robert. Je prends la main de Patrick et je me dis que l’avenir va durer longtemps.

Guillaume Jan

11 mars 2016
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