Maïa Brami | Blanc Espace
Réflexion et montage photo à partir d’une toile de Louise Bourgeois , en prélude à une rencontre à la librairie : Dire la femme en mots, en musique & en images.

L’étonnement toujours de se retrouver dans l’œuvre d’un autre, d’une autre. L’émotion de s’y voir, de se ressentir enfin.
Cette dimension charnelle de la matière sur la toile qui manque tant à l’écriture, cette évidence, ce choc à l’œil, couleur, pâte et géométrie. Comment arriver à le recréer avec des mots ?
Le rouge délavé, le tracé faussement primitif qui va à l’essentiel, le thème du tableau — The Birth —, tout ici renvoie à l’origine, une origine du monde neuve et sanglante, innocente et crue, cruelle. Un texte n’est-il pas une cosmogonie ?
Pour qu’advienne un nouveau projet, j’ai besoin d’effacer, de tout effacer, ce que je sais, ce que j’ai fait, ce que j’ai vu, je veux la page blanche, l’infini, tracer les lettres comme si c’était la première fois, frissonner en sentant les mots jaillir, m’inonder de leurs nuances, de leurs saveurs, de leurs sonorités. Faire un vœu pour chacun comme on le fait avant de croquer dans un fruit de saison — cette prise de conscience qui décuple son goût en bouche.
Pour écrire, il faut être en soi et au monde, poreux et paradoxalement plus habité que jamais, comme une femme prête à accoucher : ouverte, tendue, à la fois vie et mort, traversée par les âges, le temps. Tel son fœtus, elle retrace l’évolution, rebroussant chemin vers l’état larvaire, fossile même : la femme peinte par Louise Bourgeois tient de la grenouille éviscérée, mais elle ne saigne pas, elle a l’air plutôt momifiée : il y a du minéral en elle, son cri la statufie, lui retrousse les babines jusqu’à la réduire en poussière d’os, qui, dispersée par le vent la fera passer du rang de mortelle au rang de symbole.
Paradoxalement, bouche et membres ouverts, écartelée et comme jouissante, elle est si vivante au bord de sa mort. Dos et fesses contre la terre battue, visage au ciel, elle est l’entre, le passage. De la transparence de ce rouge délavé naît le relief, le mouvement, la chair mêlée de larmes. Cette transparence m’appelle, me réveille. Les écarts du pinceau me libèrent. Je prends corps dans mon corps, dans l’espace, alors j’ai à dire ; l’écriture peut advenir.
Et cette fois, le lâcher prise va encore plus loin, via l’écran je m’autorise à habiter l’espace, l’espace du tableau de Louise Bourgeois, de ma photo et donc du mur autour, je laisse ma main courir, sentir les liés et les déliés, mon corps prendre contrôle, voir les mots s’inscrire ici et là, caresser la femme nue qui accouche, accompagner son cri, sourire des points qui refusent de se mettre sur les "i" et cryptent la langue ; l’espace s’offre, tel un corps nu, appelle les doigts, mes mots.