Marc Roger | Le Vieux Libraire et les Thalwegs



CLAP DE FIN


Ce lundi 12 mars 2018, s’achevait cette résidence d’écrivain, par le verre de l’amitié pris à quelques-uns dans la petite bibliothèque de Mary-sur-Marne.
Amicale occasion de revenir sur les six mois écoulés depuis mon installation fin août 2017.

Pour les personnes qui ne me connaissent pas, je suis lecteur public, je lis à voix haute les auteurs qu’il me plaît de partager en lectures simples ou lectures musicales.


Depuis plusieurs années, je cherchais une forme d’écriture susceptible d’accueillir mon questionnement sur ce métier qui me passionne.


J’avais déjà eu l’opportunité d’écrire à ce propos par le biais de trois récits de lectures itinérantes inspirés de trois voyages :
En France – À pied et à voix haute (HB Éditions, 2000)
Autour de la Méditerranée – Sur les chemins d’Oxor (Actes Sud, 2005)
En Afrique – La Méridienne Saint-Malo/Bamako (Folies d’Encre & Merle Moqueur, 2012)

L’idée d’un roman faisait patiemment son chemin…

C’est en octobre 2012, que je prenais mes premières notes et réunissais mes premières sources de documentation autour de l’oralité et de la problématique de la fin de vie dans notre société.

Je ne souhaitais pas donner la parole à un lecteur public, à un double qui eût été trop proche de moi, je souhaitais prendre un peu de distance. Il m’a fallu environ une année pour cristalliser mes obsessions autour d’un vieux libraire à la retraite qui croiserait un jeune garçon aussi éloigné de la lecture qu’il en serait proche lui-même.

Le jeune garçon me permettrait d’écrire sur les difficultés d’entrer dans la vie active et le vieux libraire sur celles de terminer sa vie tout en revenant sur son chemin parcouru au milieu des livres.
L’unité de lieu de la maison de retraite me serait familière pour y avoir fait des centaines de lectures au cours des vingt-cinq années passées.

Après, fiction et fantaisie feraient le reste…

Je n’ai pas cette capacité de pouvoir écrire trois ou quatre heures par jour, tôt le matin ou tard le soir, en consacrant le reste de ma journée à mon activité principale de lecteur. La lecture me prend tout mon temps. Je n’ai de vacance d’esprit pour écrire qu’en été quand je pars en vacances. De retour à la maison, en septembre, je range tout dans un tiroir de mon ordinateur.
Il en a été de la sorte pendant presque cinq ans. J’écrivais des bouts, voire des chapitres entiers. Tout à l’imparfait. L’histoire, de son commencement à son terme, était prête.

Au printemps 2016, Cyril Lallement, responsable Culture du Territoire de la Communauté de Communes du Pays de l’Ourcq, avec lequel je travaillais étroitement depuis 2011, comme lecteur, et au fait de mon projet d’écriture, m’informe qu’il serait possible de candidater auprès de la Région Ile-de-France pour une résidence d’écrivain de six mois.

Printemps 2017, la convention est signée, je commence à me concentrer sur l’écriture et uniquement sur celle-ci, mettant volontairement en sommeil mon activité de lecteur. Je ressors tout de mes tiroirs. Relecture de mes brouillons écrits à l’imparfait et au passé simple. Constat terrible. C’est lourd. Ça se traîne. Ça ne fonctionne pas. Je passe mes vacances d’été à tout remettre au présent de l’indicatif, me réservant les temps du passé pour mieux mettre en valeur les retours en arrière du vieux libraire.

Fin août, je m’installe dans mon petit logement de Mary-sur-Marne, avec un brouillon nickel. Le chantier est propre. La lumière de l’appartement est délicieuse. Exposé est-ouest. Les pièces sont traversées par la lumière du matin et celle du soir, non-stop. Je me suis aménagé une pièce-bureau avec le bric et le broc que le responsable des services techniques de la mairie a eu la gentillesse de me fournir. Une grande table de campagne, quatre chaises paillées, une vague étagère bibliothèque sur laquelle j’ai réuni les six tomes du Grand Robert de la langue française, mes livres de référence sur la lecture à haute voix et plusieurs ouvrages consacrés à la vie d’Aliénor d’Aquitaine, personnage historique important à la fin du roman. Au mur, une longue frise réalisée par des morceaux de cartes IGN, mis bout à bout, pour bien visualiser le parcours du jeune garçon, parcours que j’ai moi-même effectué à pied entre la maison de retraite fictive du vieux libraire et l’abbaye de Fontevraud où se trouve le gisant d’Aliénor qui l’obsède, tant sa représentation en situation de lecture le fascine, lui, le vieux vendeur de livres.

Chaque matin, j’entre dans cette pièce en claironnant : Bonjour tout le monde !

Je découvre le plaisir de vivre avec des personnages. De ne plus rien faire, sans avoir dans la tête, le murmure de leurs dialogues interférant sans cesse avec les courses au supermarché à cinq cents mètres de la place du village, avec le sommeil léger que ponctuent les heures sonnées au clocher de l’église. Je suis dans une énergie joyeuse qui me visse carrément dix ou douze heures devant l’écran. Les yeux exorbités, m’obligeant à m’imposer des pauses en allant marcher sur les bords de la Marne tout près, sur les bords du canal de l’Ourcq, ou, grand luxe de l’automne 2017, d’aller cueillir des cèpes qui poussent en quantité dans un petit bois où personne ne les cueille. Des amis viennent partager mon euphorie. Nous marchons, nous pique-niquons. Je crois pouvoir dire que je vis des moments heureux auxquels s’ajoute le plaisir des lectures programmées sur le territoire de la Communauté de Communes qui m’accueille. Des écoles maternelles et primaires, aux collèges et maisons de retraite, en passant par le réseau des bibliothèques de villages, je lis à tout va.

Je suis un besogneux. L’écriture avance à pas de limace. Je suis loin des mille mots journaliers d’un Jack London, écrivain parmi tant d’autres qui force mon admiration. Mais peu m’importe, je me sens légitime où je suis, témoigner de ma passion de lecteur via le filtre d’une fiction qui m’impose ses règles.

Fin novembre 2017. Je mets un premier point final qui ne me satisfait qu’approximativement. Je fais appel à quelques amis du club de lectrices et de lecteurs de la librairie du Merle moqueur dans le 20e arrondissement de Paris auquel je participe depuis quinze ans. Les retours de certaines sont sévères et tellement justes que je revois ma copie sans tarder. Le niveau de langue du jeune personnage ne va pas. Soit il parle trop jeune, soit il parle trop policé. Merci l’option occurrence du traitement texte. Exit tous les mots concernés. La fin du livre est réécrite dans la foulée. Les relectures semblent s’accorder à conclure que je peux décemment lâcher le manuscrit dans la nature, qu’il saura se défendre dans la jungle des comités de lecture.

13 décembre 2017. Tir de barrage. J’envoie 18 manuscrits par voie postale et 5 par mail au format numérique. Commence l’attente insupportable des retours. Fin janvier 2018, ils arrivent. La boîte aux lettres dans le couloir de mon immeuble devient mon supplice. Chaque lettre de refus enfonce son clou profond dans le muscle du doute. Et ça fait mal. Ce que j’ai écrit, c’est forcément de la daube. Comment ai-je pu prétendre à me mêler d’écriture ? Retourne à tes amours premières. Je me replonge dans la lecture. Un forcené.

30 janvier 2018 ̶ 10h30. Lina Pinto, directrice des manuscrits chez Albin Michel appelle pour me dire tout le bien qu’elle pense des 83 premières pages qu’elle vient de lire et me demander de lui envoyer le manuscrit en PDF afin qu’elle le soumette à son comité de lecture.

Le 7 février 2018, à 14 heures dans son bureau, elle m’annonce de vive voix que je vais être publié au printemps 2019 sans préciser la date.

C’est une grande joie pour moi de partager cette bonne nouvelle avec toutes celles et ceux qui m’ont permis cette aventure, qui y ont cru sans restriction. Je crois pouvoir dire que j’ai beaucoup de chance et j’en souhaite beaucoup au livre à paraître qu’il puisse rencontrer lectrices et lecteurs comme on le souhaite toujours en pareille occasion…

Merci !

Marc Roger

16 mars 2018
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