Martine Drai | De Paris 3

Lire ce qui précède d’octobre.


25 octobre
Un retour bref dans le quartier où je vivais jusqu’en 1996 et où, pour me simplifier la vie, j’ai laissé domicilié mon compte bancaire.
Après mon passage à l’agence de la rue de Vaugirard, je suis descendue jusqu’au square Saint-Lambert. Je m’y suis assise. J’ai regardé une petite fille et son père s’exercer à marcher sur la basse rambarde qui borde la pelouse. J’ai souri à l’enfant, qui se tournait vers moi pour vérifier que j’admirais ses dons d’équilibriste. Quand ils ont quitté le jardin j’ai regardé autour de moi, il n’y avait pas grand monde malgré le très beau temps.
Je me suis rappelé la putain du Saint-Lambert. Elle venait là quotidiennement, en fin de journée, comme moi. Elle s’asseyait jambes croisées. De beaux pieds très cambrés dans les chaussures à hauts talons, de belles jambes musclées, des genoux ronds et puissants. Elle ne faisait rien. Elle portait calmement son attente, son visage très maquillé, sa bouche très pulpeuse, sa moue un peu hautaine. Elle n’attendait jamais longtemps. Un homme s’approchait, on les voyait échanger quelques paroles, précisions tarifaires probablement, et elle se levait, et ils quittaient le jardin.
Je l’ai vue pour la dernière fois quelques jours avant mon déménagement. Elle était venue sans maquillage, et chaussée de tennis. Sans armes. À cause de cette nudité de la peau, du regard assourdi par l’absence de fard, tout d’un coup j’avais eu peur pour elle. Et très exactement à cet instant même, comme si elle m’entendait, pour la première fois elle m’avait regardée. Longuement, sans ciller, sans sourire. J’avais cédé la première et quitté le jardin sans me retourner.


3 novembre
École Camondo, fin de cours. Vue du deuxième étage, à travers la baie vitrée qui donne sur le cimetière Montparnasse. Au-dessus des tombes la chute lente et oblique des feuilles dorées, une danse plus qu’une chute, et je me disais : elles finissent toujours plus légèrement que nous…
En sortant de l’École j’ai décidé de rentrer à pied plutôt qu’en métro. Trente-cinq minutes de marche du boulevard Raspail à chez moi, les vingt premières me font traverser la place Denfert-Rochereau, dépasser la masse anthracite et musculeuse du lion, suivre ensuite le circuit du métro aérien, Boulevard Saint-Jacques. Les abords de la station Saint-Jacques me rappellent une histoire brève, un visage de jeune homme, quelques nuits, certains détails m’en reviennent alors que je continue de descendre le boulevard, toute une confusion de mots, de gestes, de touchers et d’odeurs, mais le présent s’y agglutine avec le vacarme de la rame de métro qui passe au-dessus de ma tête, avec aussi certains commandements domestiques, racheter oignons, pas de pain il en reste, collant gris centre commercial… Et tout d’un coup, mais ce n’est pas nouveau, je m’éprouve peu singulière dans la ville, je sais que nous sommes actuellement des milliers dans Paris à faire ce que je fais, quitter la parole requise par la fonction sociale et revenir à soi dans le temps du transport, renouer avec cette langue du dedans qui brasse le souvenir et l’avenir, la nuit chaude et la liste de courses… Et une fois de plus, je me demande si je dois à Paris, à sa pesée démographique, cette sensation qui ne me lâche pas, d’être à peine distincte du nombre… Dans une ville de province de moyenne importance, qu’est-ce qu’il en aurait été de ma relation avec le nombre ?… Question sans réponse, et d’ailleurs sans inquiétude – je m’y suis habituée.
Peu après la station Glacière j’ai revu le magasin Nicolas où j’ai l’an dernier acheté une bouteille de bon vin à un caviste qui venait de se faire opérer du cœur et voyait la vie autrement, désormais, parce qu’elle est courte, il disait, on ne le sait pas jusqu’à ce qu’on le sache - et il m’avait serré la main en s’excusant, excusez-moi je peux pas m’en empêcher, je serre la main à tout le monde, j’en reviens pas d’être encore là…
Et j’ai obliqué à droite pour rejoindre, par la montée raide de la rue le Dantec puis de la rue Alphand, le quartier de la Butte-aux-Cailles, formidable et rapide contraste architectural, je laissais derrière moi le vacarme du boulevard, j’entendais maintenant mes propres pas, mon propre souffle, plaisir rarissime à Paris, quelques rues privilégiées nous l’offrent comme en province, c’est une des raisons qui font que j’apprécie mon treizième arrondissement, il n’y a jamais loin des grandes avenues bruyantes et des architectures alignées aux rues étroites bordées de maisons basses ou d’immeubles à trois étages, et on y voit de ces phénomènes incoercibles que réprouvent les architectes quand on photographie leurs travaux : des bacs de géraniums un peu partout aux fenêtres, un arbuste déjeté surgi de l’intersection de deux canalisations extérieures, et aujourd’hui un fil tendu entre deux fenêtres de part et d’autre de la rue de la Butte-aux-Cailles, à ce fil ont été accrochées quatre paires de tennis et baskets usagés, de modèles différents. Peut-être pour les faire sécher. Peut-être pour faire guirlande. Ou pour le plaisir esthétique du désordre. Ou encore par souci d’établir une résonance avec l’inscription datant du siècle dernier, et visible un peu plus loin, sur la façade côté place Verlaine de la dernière maison de la rue : H.LEFEBVRE, CHAUSSURES & GALOCHES…
Avant de quitter la Butte, un détour par la rue Samson pour revoir ceci : sur un pan de mur où Miss Tic, artiste bien connue des parisiens, se manifeste sous la forme d’un dessin au pochoir, échelle deux tiers environ, représentant une pin-up déliée vêtue d’une robe noire plutôt sexy et accompagnée de l’inscription TROP HEUREUSE POUR ÊTRE PEUREUSE – est venue s’installer, à un mètre d’elle, et à la même échelle, une petite grosse qui a signé Miss Toc et ne délivre, elle, pas le moindre mot. De cette abstention peuvent se déduire, il me semble, deux messages clairs : 1/les grosses ont le droit de vivre - 2/tu causes trop, Miss Tic...
Mais Miss Toc a quand même piqué, de Miss Tic : 1/la robe sexy (même longueur, même forme, même décolleté) 2/le style du pochoir.



4 novembre
Retour de banlieue. Station Mairie d’Ivry, où on attend un peu. Scène ordinaire avec le service de sécurité. Deux agents, sur mon quai, s’efforcent de remettre sur ses jambes un clochard visiblement très ivre, ou tout au moins de le faire asseoir sur un siège plutôt qu’au sol. Un peu de vomi devant lui, sa bouteille tombée d’où s’évade encore la piquette, les deux agents ont l’air dégoûté mais se tiennent.
Sur le quai d’en face un de leurs collègues raccompagne manu militari vers un siège un homme qui n’a pas l’air exactement ivre, mais plutôt hébété, peut-être drogué. L’homme s’écroule, sa tête dodeline, il sourit et bave un peu. L’agent lui lance, avant de s’éloigner : Et maintenant tu bouges plus de là, t’as compris ? Tu bouges plus !
J’essaie de me raisonner, mais je n’y arrive pas. Rien ne rebute mon immaturité. Je rêve d’un centre de formation pour agents de la sécurité où le tutoiement intempestif serait pénalisé. Je rêve de grosses pénalisations. De pénalisations vicieuses et humiliantes. Si humiliantes que les pénalisés sauraient d’emblée, au moins un temps, ce que c’est qu’être ravalé, par le simple effet du langage, au rang de crouille, de nègre, de rebut. Et tout de suite après je rêve que notre langue ne changera pas, ne changera jamais. Gardera pour toujours cette distinction entre le tutoiement et le voussoiement, avec la bassesse que son absence peut révéler, quel que soit le ton employé, quel que soit le geste qui l’accompagne.


5 novembre
Premier vrai froid, cinq degrés quand je sors de chez moi ce dimanche pour aller faire un tour au marché de l’avenue d’Italie, il est dix heures du matin, je passe devant le Barbizon, chaque brique du nouveau mur est maintenant recouverte d’une inscription de protestation, le SDF Éric tourne le dos au flot des passants, à sa silhouette sous la couverture on le devine assis en lotus, comme il l’est souvent. Un instant je me demande : ce dos tourné, qu’est-ce que c’est ? Pudeur à cause du plus grand froid, de la nuit plus mauvaise ? Ou prière ? Ou ses exercices de yogi ? Ou le simple besoin d’intimité, qu’il se procure comme il peut ? Quoi qu’il en soit il a l’air en forme, cette tenue de la colonne vertébrale n’est pas celle d’un homme malade, et sa couverture se soulève régulièrement au rythme de sa respiration.
Les tours aux extrémités nord et sud de l’avenue d’Italie apparaissent tronquées par la brume, le ciel y gagne beaucoup. Au marché on voit que sont arrivés les marrons et les huîtres.
Quand je repasse au retour devant le Barbizon, le SDF Éric est toujours dans la même position. Je le regarde du trottoir d’en face. Son intimité, s’il garde les yeux ouverts, bute quand même sur les inscriptions du mur. Peut-être qu’il a pensé à les effacer, mais qu’il y a renoncé. Peut-être qu’il a accepté sereinement que désormais la vraie intimité ne s’obtienne que yeux fermés.
Au café, on apprend l’arrivée pour bientôt du beaujolais nouveau.


9 novembre
Beau soleil, températures en hausse, un air d’allégresse dans l’air. Dans le Parc de Choisy l’automne n’avance que très lentement. Majorité d’arbres bien verts encore. Je m’attarde un peu à observer les deux gingkos biloba plantés de part et d’autre de l’allée qui mène au kiosque Le péché mignon. Ils ne vieillissent pas égalitairement : celui de droite a viré au jaune - jaune encore acide, premier jaune – celui de gauche est parfaitement vert.


11 novembre
À peine huit heures du soir, j’arrive un peu en avance à mon rendez-vous au Parc de la Villette. Je m’approche de la fontaine aux quatre lions, devant moi les lignes brisées des néons bleus, rouges et roses, qui ponctuent les abords du Parc, sensation de luxe inouï, une des vraies réussites de notre Paris neuf, et bien agrémentée, ce soir, par l’odeur grasse et poivrée qui me parvient du stand de merguez.
Je m’assieds un instant au bord de la fontaine. J’écoute le son de l’eau qui tombe des gueules des lions. C’est du luxe superlatif, toute cette eau, et je voudrais l’oublier, mais non, depuis quelques années je ne l’oublie plus jamais.
Une petite fille fait le tour de la fontaine en poussant devant elle un berceau miniature, quand elle arrive à mon niveau je distingue rapidement la couleur de la poupée couchée dans le berceau, je crois bien que je n’ai jamais vu ça de ma vie dans Paris ni ailleurs, une petite fille blanche avec une poupée noire - mais voilà qu’elle lève le bras, répond à qui l’appelle… Et je suis des yeux son regard… A vingt mètres de là ses deux parents sont blancs. Elle s’élance, pousse son berceau, court.
Dans vingt ans la fontaine aux quatre lions ne fonctionnera peut-être plus qu’une heure par jour. Il y a vingt ans on n’aurait peut-être jamais vu une petite fille blanche avec une poupée noire – ou alors c’était moi ? Je ne voyais pas ?


12 novembre
La Villette, il y a longtemps, c’était d’abord les abattoirs où travaillait Milo. Milo c’était le fils de Pépère. Le fils à Pépère, il disait, lui. Nous avions débarqué d’Algérie fin juillet 62, nous étions pour quelques semaines hébergés chez ma tante, dans son pavillon du Bourget. Pépère et Milo habitaient le pavillon voisin. Pépère et Milo, ainsi que mon cousin Bernard, qu’on appelait Nanard, possédaient un accent parigot qui me coupait le souffle. Je devinais que cet accent était la fine fleur de la France. J’étais prête à tout pour l’acquérir. Dans le fond du jardin du pavillon de ma tante j’ai répété pendant des heures les sentences tombées de la bouche de Nanard : c’te nana ma parole elle a r’gardé le soleil à travers une passoire… Les esgourdes c’est comme les pieds ça s’lave… Si ça t’plaît pas tu vas t’faire cuire un œuf sur l’acropole d’Athènes à la flamme olympique… etc. De plus en plus mortifiée d’entendre que mon accent n’était pas le bon, pas encore, toujours pas…


13 novembre
Je viens de relire ce qui précède, et je pense à Antoine Vitez, qui a été mon professeur au Conservatoire de Paris il y a trente ans. Je le revois s’esclaffant bruyamment chaque fois qu’il nous imitait les accents de Paris. Impossible à reproduire ici, mais il imitait de façon prodigieuse l’accent qu’on entendait à Passy, et celui de Belleville, celui d’Aubervilliers, celui d’Ivry… Il en avait dénombré une bonne quinzaine, tout compris, Paris-banlieue. C’était hautement convaincant, et de plus je crois que c’était vrai. Je veux dire que c’était l’observation exacte, quoique amplifiée par le souci exquis d’en tirer un bon numéro de clown, de quelque chose de réel. En 1976, ça existait encore. Et à y réfléchir, je suis sûre que maintenant ça n’existe plus. Ces accents dont il parlait n’existent plus. Il en existe d’autres, je le sais, mais je sais aussi, j’entends chaque jour, que le spectre s’est réduit. Les accents ne sont pas des marchandises, on les a laissés se perdre, c’est dommage.


15 novembre
Parc de Choisy. Les deux gingkos biloba sont maintenant du même jaune d’or. À toute vitesse, l’un a rattrapé l’autre dans le processus de vieillissement. Je me demande qui pourra m’élucider ce mystère.
Les ormes commencent à peine à jaunir.
Les feuilles de peuplier vieillissent tavelées, comme de la peau humaine.


22 novembre
Galerie Yvon Lambert, rue Vieille-du-Temple, pour voir les toiles d’Anselm Kiefer dédiées à Paul Celan. Quand j’y arrive je vois d’abord, groupées autour d’une longue sculpture posée au sol, bien découpées sur le fond blanc de la salle, cinq personnes vêtues de couleurs sombres, visages penchés sur les écrans de leurs appareils numériques, avec lesquels elles semblent véritablement faire corps. Ce spectacle me retient, me détourne des toiles. Pas une de ces personnes ne regarde les œuvres présentées, à aucun moment, autrement que par l’intermédiaire de l’écran. J’essaie quand même, pour ma part, de les regarder. Mais je reste gênée. Je ne sais pas exactement pourquoi, ou pour qui – pour moi ? pour eux ? ou pour Kiefer ?
Après cette visite et deux autres dans le même quartier, un moment de repos square George-Caïn, rue Payenne, face à l’Institut culturel suédois.
Au centre d’un bosquet de roses serrées, une petite femme de bronze bleuté. Nue, mince, très droite, en marche, le corps en appui sur la jambe de devant, sur le visage une expression de concentration volontaire.
Vient un jeune couple, le jeune homme porte sur la poitrine un gros téléobjectif, il se met à photographier la statue sous plusieurs angles, puis il prend le bas-relief à ma droite. Sa copine patiente, on sent qu’elle l’accompagne dans sa recherche avec bienveillance et détachement… Mais quand même elle finit par lui faire remarquer, en anglais, que cette collection de statues devient légèrement obsessionnelle… Et ils sortent, lui riant un peu, comme d’une bonne farce.
Je me demande ce qu’il fera de sa collection. Mais je le comprends. J’ai aussi photographié quelques statues parisiennes, je leur suis attachée. Elles forment dans la ville, avec leurs regards de pierre ou de bronze qu’on ne connaît pas toujours, car ils nous dominent souvent, une population parallèle sur laquelle se posent, éphémères ou pérennes, les marques qui réaniment - excréments d’oiseaux, intempéries, érosion… Après coup, je me dis que j’aurais dû conseiller au jeune homme quelques spécimens peu connus… Et puis je me dis que non, évidemment, parce que les trouvailles photographiques n’ont de sens que personnelles, et dues au hasard.
Nous voilà maintenant en tête à tête, la statue et moi. Je ne bouge pas, elle non plus. Je laisse mon appareil dans mon sac. Pas de photos aujourd’hui. J’ai regardé les autres en faire, c’était aussi intéressant.
La nuit vient sur le visage de la statue, brouille ses traits. Derrière elle, encore très nette, la silhouette blanche d’un bouleau à quatre fûts. Dans la rue des gens sortent de l’Institut suédois, je crois entendre des voix suédoises, je me trompe peut-être, la nuit vient aussi sur le pan de mur ocre jaune à droite de l’Institut. Je suis sans désir, sans mémoire, sans pensées claires, passive, contente. Comme une vraie touriste fatiguée de sa journée.



23 novembre
Vers six heures du soir, nuit noire déjà boulevard Raspail quand je sors de l’École, boue de feuilles mortes sur les trottoirs, on glisse.
Au-delà de la place Denfert-Rochereau les arbres sont assez nus maintenant pour laisser voir de nouveau, et pour toute la saison à venir, les fenêtres des quatre premiers étages des immeubles, et quand les rideaux sont tirés des fragments d’intérieurs - un meuble, un lustre, un visage – dans une lumière orangée.
Phares blancs des voitures, et leurs reflets en longs faisceaux verticaux dans l’asphalte mouillé de la chaussée. La pluie double la ville. Sur les trottoirs les passants piétinent les croix vertes des pharmacies, les flaques de néons multicolores des enseignes.
Boulevard Saint-Jacques, un homme assis à califourchon sur un banc, un litre de vin devant lui, bu aux deux tiers. Massif, de type indien ou pakistanais, peau bistre, cheveux gris très fournis, l’homme est élégamment vêtu, costume de bonne coupe, chaussures apparemment cossues, parka de daim, écharpe de cachemire. Mais col et cravate desserrés. Devant lui, à côté du vin, un attaché-case de cuir fauve. Il tire d’un paquet de papier kraft posé entre ses cuisses quelque chose qu’il grignote lentement, les yeux agrandis par une sorte de surprise.
Je garde un instant son visage en tête après l’avoir dépassé. Et en moi la sensation précise que, compte tenu de l’épaisseur de ses cheveux, la pluie fine n’a pas encore atteint son cuir chevelu, ne l’atteindra peut-être pas avant que la bouteille soit finie.


25 novembre
Parc de Choisy, les gingkos biloba : l’un est maintenant complètement dénudé, l’autre n’a pas encore perdu la moitié de ses feuilles.


29 novembre
Passage rapide ce matin place de Clichy, et un souvenir qui lui est associé : c’était il y a vingt-six ans, je n’avais plus un sou, plus de chômage indemnisé, et rien trouvé de mieux que de répondre à une petite annonce qui recrutait des commerciaux pour une agence d’assurances située en haut de la rue Saint-Pétersbourg. Le patron, un grand et gros homme du nom de Monsieur Aboudi, avait fondé sa carrière et l’essentiel de son art commercial sur la certitude de l’impossible réitération de l’orifice anal. Et il tentait transmettre cet essentiel aux débutants qu’il employait à peu près en ces termes, chaque jour répétés : « Le client si vous l’amenez à vous parler de sa vie c’est gagné ! Et pour l’amener à parler de sa vie, faut pas avoir peur de lui ! Et pour pas avoir peur de lui, vous le regardez bien en face et vous vous dites : de toute façon, ce type , il pourra pas me refaire un …deuxième… trou au… cul ! »
Nous décollions de la place Clichy, vers des destinations très variées, avec ces mots solides pour tout viatique. J’étais médusée par cet homme. Je ne savais pas pourquoi. Maintenant je sais : Monsieur Aboudi représentait l’absolument autre. Il était pour moi le comble de l’exotisme. Quand je descends place Clichy j’ai toujours une pensée pour lui. Une pensée toujours ahurie.


30 novembre
Dans le parc de Choisy, les gingkos biloba sont maintenant à égalité. Nus tous les deux.

à suivre

8 décembre 2006
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