My college is famous

Je découvre, ce jour, avec surprise, qu’un adolescent s’est fait agresser devant un collège de Saint-Ouen. Il est à l’hôpital, dans un sale état. Pas tellement surprenant, ces dernières semaines, presque pas un jour sans ce genre d’événements qui nourrissent les diaboliques médias. Sauf que cette fois, c’est près de la mairie de Saint-Ouen, et le collège s’appelle « Jean-Jaurès ». Tiens. Comme le mien, celui où chaque semaine je me rends. Donc, je me rends, encore une fois, le lendemain des événements, dans le fameux collège, pour y dispenser mon petit temps extérieur, celui de l’écriture, et de l’initiation au plateau pour ma petite équipe de 6 ème 9.

J’arrive dans la place, et je tombe sur une drôle d’effervescence. Les enseignants ruminent entre eux, se demandent si le moment n’est pas venu de faire grève, comme ils l’ont fait la veille, l’après-midi de l’agression. Tout le collège bruisse d’un silence et d’un calme qui me semble nouveau. Habituellement c’est plutôt agité, vif, sanguin. Mais là, des tas de « surveillants » filtrent consciencieusement l’entrée. Des types du genre « vigile », tiennent leur carré de terrain, souvent une porte à laquelle ils se postent.

Mais ce que je surprends aussi, et qui me surprend d’autant plus, ce sont les regards. Les regards des enfants. Des ados. Des regards furtifs, hagards, inquiets, même chez certains qui ordinairement sont plutôt sûrs d’eux. Il flotte une inquiétude, mais pas vraiment de la peur, plutôt de l’incompréhension, quelque chose de noué dans les intérieurs. De l’incompréhension plutôt que de la peur. La sensation peut-être que cet ordre monté sur cailloux, cet édifice qui dispense son enseignement et qui use le temps de ces jeunes gens, cet édifice est fêlé, fissuré. Quelque chose qui se fissure dans l’atmosphère, mais aussi dans l’espace. Ce lieu qu’on connaît bien ou qu’on croyait connaître et qui d’un coup, après cette histoire apparaît sous un jour inconnu. C’est le désarroi, un désarroi au fond pas si différent de celui que je notais plus tôt, dans mes impressions de collège. Mais alors peut-être, un cran au-dessus. On a franchi un cap.
C’est alors que je comprends que l’événement, l’agression, qui a touché un élève de ce collège, a touché aussi, c’est l’onde de choc, l’ensemble des collégiens. Tous ont été agressés, atteints par l’événement, qui n’est plus, cette fois, un simple bruissement radiophonique ou télévisuel du petit matin, du petit déjeuner, de la petite entrée dans la journée d’activité. Ce n’est plus le roman médiatique, les aventures ou les tribulations de l’espèce racontées par les voix anonymes des caniveaux médiatiques, mais les caniveaux eux-mêmes, les bouches béantes qui s’ouvrent, et le gouffre de l’incertitude qui se creuse sous les pieds de chacun.

Tout est exactement comme à l’ordinaire, dans ce collège, et en même temps, tout est très différent.
Les enseignants me rapportent les événements, mais comme s’ils racontaient l’histoire pour la énième fois, avec les accents de l’habitude déjà, et l’événement, pardon, pas l’histoire, est un ressassement ininterrompu, tournant comme ces radios d’information continue, qui tapent sur les nerfs à force de répéter des millions de fois les mêmes phrases de minute en minute. Cette répétition des événements auxquels aucun de ces enseignants et probablement très peu d’élèves ont assisté, on se les répète comme pour se convaincre qu’ils ont bien existé. Et ils ont sûrement existé, puisque comme me le rapporte ma collègue enseignante, des tas de « médias » ont débarqué. Mais quand j’arrive, moi, le lendemain, en dehors des « surveillants » et de ces curieux types cravatés qui surveillent l’entrée du collège, il n’y a plus la moindre trace de l’événement. Seuls les esprits sont durablement imprégnés.

27 mai 2011
T T+