Noémie Fargier | Jeunes pousses à découvert

De février à mars 2018, deux classes de seconde du lycée Blanqui (Saint-Ouen) participent à des ateliers pluridisciplinaires, leur permettant d’explorer l’imaginaire du jardin en territoire urbain. La dernière séance est dédiée à la répétition et à la présentation de "Jardin de mots".

29 mars 2018

             Le grand jour est arrivé. Les graines ont germé, des pousses sortent de terre, encore mal assurées. Certaines graines ont été plus rapides, plus fécondes. D’autres doivent pousser une couche de terre si épaisse, qu’elles croient ne jamais y arriver. Et si certaines ont séché en cours de route, d’autres plus vives, plus fortes, s’élancent fièrement vers la lumière.
             Nous observons les plantes et leurs stades de développement décalés. Le papier ensemencé utilisé avec le groupe d’Axelle semble emprisonner quelque peu les graines, qui sont plus lentes à germer, tandis que les semis du groupe de Nathalie, réalisés dans des mini serres en forme de fleurs, semblent avoir trouver un terrain favorable, et des pousses de multiples sortes apparaissent.

 

             Le texte quand à lui, a eu peu de temps pour mûrir. Aussi tentons-nous une appropriation de l’instant, une sorte de restitution sur le vif, animée par le désir de partager un travail en cours, et l’expression d’une parole.
             La matinée du 29 mars a exigé de la part des élèves un grand déploiement d’énergie et une concentration en un temps resserré. Les premières heures sont consacrées aux répétitions avec les élèves de Nathalie, la répétition avec les élèves d’Axelle ayant eu lieu deux jours plus tôt.
             Si les pousses de ces derniers se sont révélées plus lentes à sortir de terre, leur entrée dans la matière textuelle a été plus immédiate : leurs voix se sont plus facilement coordonnées, et ils sont prêts, dès le début de la semaine, pour présenter leur travail en public. Le groupe que je revois le matin du 29 commence juste le travail vocal, la séance précédente ayant été dévolue à la découverte et à la répartition du texte.
             Nathalie a utilisé un moyen imparable pour distribuer le texte entre les groupes : le double décimètre ! Tout le monde, se défend-t-elle, face aux protestations de ceux qui se plaignent d’avoir « trop de texte », a eu exactement le même nombre de lignes, elle a mesuré !
             Je m’efforce quant à moi, de diriger le groupe, dans les grandes lignes. Être dynamique dans sa voix, dans son corps, donner de l’énergie au public, lui envoyer les paroles, avec colère ou avec joie, s’écouter les uns les autres pour être vraiment ensemble, et créer la concentration nécessaire à la représentation.
             Les essais, d’abord quelque peu brouillons, se déroulent de mieux en mieux. Les élèves sont prêts. Ils doivent être prêts. L’heure est arrivée de rejoindre la salle Descartes, avant l’arrivée du public.

 

             Dans la salle Descartes, nous installons les jeunes pousses au centre de l’espace scénique, pour recréer une forme de jardin, autour duquel les élèves prennent place.
             Le public, constitué des élèves participants, d’une autre classe de seconde invitée, de leurs professeurs ainsi que de la documentaliste du lycée, prend place dans la salle. Je présente brièvement le travail, et propose au groupe de Nathalie de commencer.
             La qualité d’écoute du public met quelque peu à l’épreuve les élèves qui, sur scène, tentent de rester concentrés. Je sens un peu de gêne, et néanmoins du plaisir à porter une parole, sur scène. Je me demande cependant si convier des élèves qui n’étaient pas impliqués dans le processus de création était un choix pertinent, pour eux comme pour les élèves en scène. Je me demande s’ils entendent le texte. Ou du moins, s’il est audible.

 

             Le premier groupe laisse la place au second. Les élèves, mieux préparés, sont aussi plus confiants, plus centrés. La salle semble plus attentive, et j’ai l’impression, qu’à cette deuxième écoute, cette parole collective lui parvient.
             Le groupe semble prendre plaisir à montrer l’aboutissement de son travail, et sa coordination est sans faille. J’en retire une certaine satisfaction, tout en espérant que cette présentation successive des deux groupes ne va pas créer un phénomène de compétition, ou de comparaison réductrice.
             Cela était peut-être un peu naïf de ma part. Il y a une compulsion naturelle à comparer. Cette plante-ci a poussé plus vite que celle-là. Celle-ci a fait de plus jolies fleurs. Lorsque je demande au public et aux participants de réagir sur ces présentations, l’un des membres du groupe d’Axelle affirme, fièrement « Je trouve qu’on a été mieux organisés qu’eux. Enfin, je trouve qu’on l’a mieux fait ». Son enseignante s’énerve un peu, lui demande d’argumenter.
             Cette remarque me rappelle combien les adolescents peuvent être cruels, et combien la présentation d’un travail devant un public peut l’être aussi. La tolérance du public est de 30 secondes, répétait une de mes professeurs d’art dramatique, pour nous faire comprendre que les premiers instants d’une scène devaient gagner toute l’attention des spectateurs. J’essaie de valoriser l’un et l’autre groupe, tout en reconnaissant les qualités du deuxième, qui d’un point de vue de l’exercice théâtral, a en effet présenté une forme plus aboutie. Et je rappelle aussi le travail de plantation, pour lequel le premier groupe a produit de belles pousses.

 

             Lorsque tous ont quitté la salle, la documentaliste, qui connait bien les élèves, partage avec moi son sentiment : les deux présentations étaient à l’image des deux groupes, l’un plus studieux, l’autre plus bouillonnant ; elle a aimé autant l’une que l’autre, et les particularités de chacune. Alors je me dis qu’avec la bienveillance dont ces élèves bénéficient, malgré la dureté du monde qui les entoure, ils grandiront bien, et que cet atelier a ouvert quelque chose en eux qui prendra le temps de se déployer.

Photographies Daniel Maunoury. Tous droits réservés.

9 mai 2018
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