Notes #3 - (12 - 25 novembre 2015)
12 novembre 2015
En partance pour le lycée, rencontre avec des premières, après un sandwich et un shoot de café. J’ai arpenté la ville pour la signature deux fois recommencée pour la convention de la résidence. Pas le temps après la rencontre de s’asseoir à un café, à une terrasse alors que l’air est doux. Mais me dire oui, c’est cette liberté-là que j’aime en ville, justement, moi qui habite au fin fond de la campagne, justement la veille de ce 13 novembre j’écris : oui, comme je comprends ma fille venue jusqu’à Paris marcher dans la ville sur un coup de tête de billet acheté le jour même.
13 novembre 2015
Pas eu le temps de noter aujourd’hui une bonne nouvelle toute personnelle dans le bloc-notes de mon téléphone. Parce que le cauchemar s’est déroulé, à Paris à la terrasse de cafés, d’un restau, au Bataclan, au stade de France...
18 novembre 2015
Les attaques... Ce matin 6 h dans la voiture du voisin qui me dépose en passant devant la gare, à sa radio l’interpellation et des blessés et des morts à nouveau. Il fait beau à Paris. Rdv avec Patrick Chatelier, auteur et rédacteur de remue.net pour la page de la résidence. Un chocolat chaud du monde dans le café du bruit relativement. Bientôt 2 RER pour Milly-la-Forêt. 17 h 27 je passe par Grandes-carrières me dit l’appareil qui précise 12° nuageux à cette tombée de la nuit.
19 novembre 2015
Écrire, lire, relire, corriger, ce soir. Savoir que mon plan de vol se prépare, idem pour mon circuit de bibliobus. D’ici j’entends le vent, les feuilles des arbres, le train par moment, vaguement la cloche des heures du village.
Et cette envie de faire la sieste, mais il est 22 h 24, c’est normal donc.
20 novembre 2015
À la gare de Fontainebleau, encore, puisque j’ai raté le train, celui sous mon nez de l’autre côté du quai. Une seconde d’hésitation et je l’ai raté.
Prendre le train suivant. Attendre deux heures dans un café pas si chaud. Avoir les larmes aux yeux à cause de la fatigue sûrement de la tristesse face aux attentats encore et pour un moment. Envie de pleurer sans savoir quoi en dire comme un état présent à l’intérieur, et la fatigue qui se nourrit de toutes les tristesses ce soir. Lire, les avis, textes, de journalistes, juges, philosophes, psy, historiens, auteurs, lire et partager quelques fois, ce qui semble construit, sensé, qui pousse à la réflexion et à l’analyse, sans angélisme ni haine. Et puis lâcher le flot, parce que flot il est, sans fin – hypnotique.
23 novembre 2015
Qu’est-ce qui est territoire
Qu’est ce qu’il y a sous la peau
Qui je suis au-delà de ça
À quoi sert la terre du paysage ?
Qu’est-ce que la peau du paysage ?
Est-ce que le paysage est un corps ?
24 novembre 2015
Projection ce soir par le CAUE58, un film allemand d’un réalisateur que je ne connais pas et qui a fait 90 films. À la fin, il envisageait le film en tant qu’installation, afin qu’il devienne matière, et que ce soit le spectateur qui construise, reconstitue lui-même le fil de la narration, de projections simultanées. Le film "Sauerbruch Hutton Architekten" de Harun Farocki.
Présentation par Marguerite Vappereau, docteure en études cinématographiques, qui par une approche limpide, décrypte, nous donne des clefs pour pouvoir suivre le film, s’y plonger. Le montage est précis, il s’agit de fragments de vies dans une agence d’architecture de Berlin. Le travail est curieusement concentré sur les façades, absence quasi totale du plan, de réflexion sur les usagers et les usages. Il filme les corps, les postures dans l’agence, celle de la réflexion, du travail, du doute, les mains, les couleurs, l’atelier maquette, les geste de ceux qui coupent, assemblent sans un mot.
À la fin de la projection, j’évoque la résidence, le sujet sur le travail de la pierre, les gestes. Cette envie de connexions, d’échanges, de rencontres. Futures invitations.
25 novembre 2015
Je constate que je suis toujours enthousiaste par rapport à mes interventions en tant qu’auteure. C’est presque curieux, ça pourrait l’être. Mais l’enthousiasme est là, présent, confirmé, qui n’est pas gagné d’office pour autant. Et le constater reste important. Le jour où ça devient une corvée j’arrête. Instantanément j’imagine.
Pourquoi je m’enthousiasme ? Peut-être que je vois chaque projet comme un terrain d’exploration. Autant de lieux où je ne serais pas allée sans cette rencontre à chaque fois renouvelée. Peut-être parce que sensation d’urgence. L’urgence qui se confirme, qui s’impose face à la violence, de partager et découvrir ensemble, c’est un objectif ambitieux et simple à la fois, regarder autrement élargir le champ de vision par ce qu’on y met, envisager l’épaisseur du réel, et de l’architecture, cette constatation qui c’est aussi un point de départ : on est toujours dans de l’architecture dès qu’il y a construction. Comme on est sujet. Comme il y a mots, ou langage, mais je ne m’intéresse pas directement au langage, dans le sens où je ne cherche pas à l’analyser. Tout est langage me va bien, mais je ne viens pas décrypter. Je ne me sens pas dans ce rôle-là.
Je m’attache aux mots qui sortent qui fusent qui infusent, diffus légers fragiles personnels intimes. J’aime cette architecture invisible de l’écrit qui raconte qui mêle fiction et réalité, qui prouve notre liberté, qui nous permet d’exercer cette liberté intrinsèque, intérieure et irréductible d’humains en capacité d’imaginer de dire et d’écrire.