Où je fais mon Jacques
Lecture musicale, performance, concert littéraire, lecture performée… Au sein de cette taxinomie foisonnante, je ne trouve pas d’entrée correspondant vraiment à l’ensemble que je présenterai pour la première fois samedi soir à la Maison de la poésie.
Je l’ai d’abord conçu dans l’esprit d’une pièce radiophonique, avant de l’adapter pour la scène, y ajoutant une dimension visuelle concrète.
Essayons justement de définir ce que c’est. Yeux fermés d’abord.
— Il y a deux voix… Un homme et une femme.
— Oui, ils lisent à tour de rôle des lettres ou des extraits de lettres de guerre de Jacques Vaché. C’est donc un genre de lecture.
— Ah, j’entends un piano. Et puis aussi… un synthétiseur, non ?
— Monophonique, en effet.
— On entend aussi la mer, le vent… et le tonnerre ? Ah non, la guerre. Elle se rapproche. C’est pas un peu fort, non ? Et là, cette arythmie narcotique, c’est quoi ? Ça vient de Bristol ?
— Bon. Ouvrons les yeux à présent.
— Oh, comme c’est cosy. Il y a donc un décor… Quelque part entre le mess d’officiers et l’abri de tranchée. Un pianiste à jardin, un opérateur de synthétiseur à cour. Mais on écoutait de la musique dans les tranchées ?
— Cela arrivait. Des gramophones portables furent inventés à dessein.
— Alors, récapitulons : des voix, un décor, des ambiances sonores, visuelles, de la musique... Mais alors, on est au théâtre ?
— Non. On est dans un théâtre, mais on n’est pas au théâtre. On est à la poésie. On ouvre des enveloppes, on déploie des lettres, on capture des arborescences mentales, on tourne autour, on regarde comment la lumière passe à travers, comment le son entre en sympathie. Au fond, on cherche à faire apparaître des manières d’hologrammes, dans le noir profond de la scène antique ; à la croisée des fulgurances de Jacques Vaché, du hors-champ de ses mots, de ce qu’ils m’inspirent, de l’affection que je lui porte et des magies qui se trament dans les coulisses. Mais il n’y a guère de comédiens pour jouer des rôles.
— Quand même, l’Interprète fait son Jacques.
—…
— Oh, mais il y a aussi un écran géant qui descend des cintres…
— Chut, il ne s’allumera que samedi.

