Philippe Cloes | Les éléphants d’Irène

Philippe Cloes sur le site de la Maison de la poésie et de la langue française de Namur et sur myspace.


 

Elle est entrée sans rien dire, sagement, comme l’aurait fait un enfant trop docile. Ses yeux sans aucune permission visitaient le lieu, chaque visage.

Un espace trop petit pour le nombre ày mettre dedans. Il pue ici une odeur de renfermé.

Un stucage, comme on peut en voir dans certains restaurants italiens ou dans quelques cafétérias sportives d’un autre temps, jaunies par l’époque où le tabac y avait encore sa place.

Son regard, impressionné par la solitude que lui imposent ce moment et ces inconnus, lui propose une table encore libre. Son corps suit.

Devant elle, se tenait un grand type bizarre, mince et nerveux, il parle avec les doigts tendus. Son visage, bien qu’étroit, prenait toute la place. L’omniprésence embarrassante d’un pied-de-biche.

Elle pose son sac sur la table qui, àcet instant, laisse cogner un de ses quatre pieds métalliques contre le carrelage fonctionnellement beige et carré afin de signaler son manque de stabilité. Un signe ?

Cette salle est intimidante, froide et vieillotte.
S’y dressent les pires peurs jamais vécues. Plus de maîtrise, de détours possibles, sans plus un habit de protection. Et cet aquilon, il semble qu’Irène ait atteint les limites de la suffisance.
D’énormes tortues bleues traversent de portes en fenêtres et arrachent tout : le carrelage ; Irène beige et carrée, craquelée de toutes parts.

Des peurs croisées déjàauparavant mais il y a très longtemps.
Des peurs comme celles qu’on éprouve lorsqu’on arrive.
Peut-être les même que celles ressenties lorsqu’on s’en va.
Est-elle en train de s’en aller ?

Elle faisait craquer ses doigts,
figeait sans cesse l’articulation de son poignet
Un bruit d’os, de ligaments qui tirent.
Il y a déjàun temps qu’elle savait
Solliciter la main, juste de quoi se retenir
Quand même un matin, l’asile
C’est pour se reprendre et fuir, pas un mot n’ose.
Le rouge, le vert, tout commence àdéborder
L’odeur du café, le prix du lait. Tout tourne

Chercher le moindre bout de lucidité
Chercher àse rattraper Le réconfort dans l’obligation
Bien s’appliquer, ne rien oublier Tout soigner
Ou au contraire, lancer, bousculer Tout arracher

Que penses-tu faire maintenant ?
Que penses-tu faire ?

25 septembre 2011
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