"Punchline etc." au collège Sonia Delaunay
Le 14 février ont démarré mes rencontres au collège Sonia Delaunay, situé quasiment en face de la librairie, situé en zone d’éducation prioritaire, il semblait évident pour moi et la librairie Texture de relier à notre projet une classe du collège.
Mourad Khelil, professeur de français, m’a accueilli avec sa classe de quatrième. Je souhaitais dans le cadre de mon projet sur le croisement des genres, laboratoire flexible, évoquer et avoir des réponses, des pistes sur la signification de la punchline.
En tant que poète et artiste sonore, je souhaitais questionner cette expression, dont je ne me suis jamais faite une idée précise si ce n’est qu’il pouvait s’agir d’une figure réthorique du rap ou du hip hop. Mais rien de plus, en écoutant souvent Eminem je percevais bien cependant qu’il y avait quelque chose d’autre, de plus mystérieux. L’expression semblait relativement récente en France.
Wikipédia en fait la définition suivante : "Une punchline (ou punch line) désigne, dans plusieurs domaines artistiques de la francophonie, une phrase forte ou choc. L’expression dérive de l’anglais, où son usage originel est à rapprocher de celui de chute."
Mais alors, est-ce la même définition pour tout un chacun, si ce n’est ni un refrain, ni uniquement l’enjeu d’une battle. Même si. Ça peut l’être aussi. Est-ce une phrase, plusieurs phrases, un seul mot entêtant, plusieurs mots ?
Les élèves avaient chacun leur propre définition et moi-même j’approchais de quelque chose qui aurait une définition intrinsèque. Dans la répétition, l’incantation, revenaient des mots et ces mots se plaçaient différemment pas nécessairement en refrains policés ou en phrases établies.
Les élèves ont créé des textes avec des vides (le mot vide choisi par un élève était la punchline et revenait à chaque ligne, plus entêtant jusqu’à décréter "l’écoute du silence"), des pleins, des mots étalonnés sur la feuille, des trous, un éloge du silence.. La punchline serait-elle donc un éloge du silence ? Une autre élève a visionné un point de vue, une fenêtre de l’immeuble d’en face et a découvert des "yeux perçants, verts ou bleus" qui la fixaient et déroulant avec eux une méditation onirique (texte qui fut perdu par son auteur entre deux séances, texte éphémère donc).
Il me fut ainsi donné une réponse par texte de chacun des élèves la punchline était quasi organique et ne relevait d’aucun calcul, d’aucune nécessité de faire rimer, de suivre la définition de wikipédia encore moins. La punchline n’est donc pas fractionnée, pesée ou même purement ludique, elle devient souffle, s’insère même là ou on ne la voit pas ne l’entend pas.
Les textes étaient déjà la réponse à ma question, tout se concentrait dans la forme individuelle que chacun souhaitait choisir, car il fut question de forme avant tout, d’univers et de désir d’expression. Chaque élève ayant créé sa propre forme, s’y tenait, l’espace de liberté avait permis de s’y tenir.
La sonnerie sonne, les élèves rangent leurs textes en cours, après qu’ils m’aient demandé de réécouter des audio-poèmes extraits de mon CD Beauty Sitcom. "Britney Spears et l’effort de rendre l’autre fou", "Tangente", des audio-poèmes autour du féminin, des stéréotypes liés à ce féminin. Ils voulaient entendre à nouveau, dans le silence, et cela touchait ce silence autour du son.
Ecrire c’est aussi retravailler les premiers jets avec parcimonie, sans détruire ce qui faisait l’unicité du texte, raturer, reconstruire, de nouveaux textes voient le jour lors de la seconde séance, ils viennent lire devant les autres, ou d’autres lisent pour eux, leurs textes. Je m’a perçois que certains ont écrit d’autres poèmes pendant entre les deux séances. Namori me montre quand la sonnerie retentit un grand cahier rempli de poèmes qu’il écrit depuis longtemps.
Troisième séance, des poèmes ont été perdus par leurs auteurs ou oubliés chez eux, certains sont réécrits du coup, ils pensent qu’ils peuvent réécrire à l’identique et ils y parviennent parfois, des élèves me disent qu’ils ont été heureux que ce projet ait pu exister, là, dans leur classe. Ils écrivent encore et encore. Le temps presse, la sonnerie va retentir à nouveau certains textes pas tapés, pas donnés, tant pis, certains restent après la sonnerie, pour continuer. Ce qu’il reste est ici. Le reste ailleurs mais encore bien présent. En tous les cas loin des faux semblants.
On peut lire l’ensemble des textes des élèves ici.
Photo : Sandra Moussempès (ateliers au collège Sonia Delaunay)